La question du blog : Quelle est notre théorie des gaspillages ?
Lors d’un gemba, nous observons un soudeur à son poste avec le dirigeant de cette entreprise industrielle. A la surprise du dirigeant, le soudeur faisait des tas de choses qui n’avaient rien à voir avec la soudure en question… déplacement, préparation de son poste, recherche d’un outil, nettoyage… Bien sûr il en est de même pour un développeur qui fait tout un tas d’autres choses que de coder, ou bien un conducteur de taxi qui rempli une partie de sa journée avec autre chose que de conduire des passagers d’un point A à un point B.
Cette scène du soudeur m’a ramenée à notre dernier voyage au Japon, devant le sensei Amezawa qui observait l’assemblage d’une voiture en répétant « no value, no value, no value…», et d’un seul coup s’écriait « VALUE ! ».
De retour dans cette usine de production française, cela m’a amené à interroger le blog du lean.
Les 7 muda sont aujourd’hui bien connus, pourtant ils sont toujours là, sous nos yeux.. Qu’est-ce que nous ne pouvons ou ne voulons pas comprendre ? Qu’en est-il de notre théorie des gaspillages et des principes sous-jacents ?
La réponse de Julie
Lors d’un gemba walk dans une entreprise qui produit et commercialise dans le monde entier des pièces et équipements de sport, j’ai une conversation très intéressante avec un des responsables du groupe à propos d’une récente augmentation du prix de vente de leurs produits. Ce dirigeant m’explique que le groupe subit une terrible hausse des prix des matières premières et n’a d’autres choix immédiat que de répercuter cette augmentation sur ses clients en raison de la protection de la marge. L’entreprise se trouve dans le paradigme classique : Prix de vente = Coûts + Marge. Cela avait marché jusqu’à présent mais aujourd’hui les symptômes parlent d’eux-mêmes, ils sont en train de perdre, de façon lente mais certaine, les équipes sont épuisées par les campagnes de cost killing et les clients ont déjà commencé à partir trouvant de meilleures alternatives chez la concurrence.
Et puis, la semaine dernière, alors que j’écoute la fabuleuse présentation de Nathalie Barange au Lean Tour organisé par la région sud, je me demande ce qu’il se serait passé si ce directeur avait assisté à la conférence de Nathalie qui nous explique comment elle était en train de réussir avec son équipe à booster le chiffre d’affaires de son service et à trouver de nouvelles opportunités de croissance en s’intéressant à ses clients.
Le problème de Nathalie (qu’il faut voir comme une opportunité) c’est qu’elle ne décide pas du prix de vente, le marché l’impose, sa seule option est de regarder son problème sous un angle différent avec : Marge = Prix – Coûts. Cette présentation aurait certainement suscité une discussion d’autant plus intéressante avec le responsable du groupe d’équipements de sport.

Il faut commencer par poser le problème :il existe une tension permanente (un conflit) entre d’une part la nécessité d’augmenter la valeur offerte aux clients, et de l’autre le besoin vital de réduction des coûts pour l’entreprise.
Zoom sur la valeur
Ce que j’ai compris de la valeur c’est que… ça ne veut absolument rien dire !
Réfléchissez au model de valeur d’un café parisien. En tant que serveur, la valeur pourrait exister au moment précis du service quand la tasse arrive à la table ; pour le gérant ce pourrait être au moment de l’encaissement ; et pour vous, client, peut-être qu’un élément de valeur qui fera que vous reviendrez dans ce bar est la qualité de l’accueil, la blague sympa et complice du garçon de café, la délicate attention d’amener un verre d’eau… tout ceci créant une expérience savoureuse autour d’un simple café…
En réalité cette valeur bouge d’une personne à l’autre, voire d’un moment à un autre, il est donc particulièrement difficile, si ce n’est impossible de donner une définition générique à la valeur. Cependant, il est essentiel de la comprendre et d’apprendre continuellement à la voir pour mettre à jour la représentation que l’on s’en fait. Dans le lean, nombreux sont les outils de visualisation de cette valeur et du contexte dans lequel elle peut exister : la mise en flux nous indique les points stagnation ; en réunion de COMEX, il est recommandé de commencer par la remontée d’une plainte client ; le système andon d’arrêt au défaut permet d’avoir une vision en temps réel des défaillances qui empêchent la création de valeur, et ainsi de suite.
Nous avons donc besoin de comprendre notre modèle de valeur propre et pour cela nous devons mettre en place certains rituels qui nous aident à tenir la discipline de se ré-interroger en continu sur la valeur que nous produisons, et identifier des potentiels d’amélioration de la valeur (pour faire du kaizen sur les “bons” sujets).
Zoom sur les coûts
Le Toyota Production Système (à comprendre comme la production de valeur et non juste le département de production) est un mécanisme pour apprendre ce que les sensei appellent le Genka Teigen et à développer le capital humain.

Le Genka Teigen est traduit par « faire les choses moins chers », M. Hayashi souligne la différence notoire avec la notion de « cost reduction » notamment quand il s’agit de faire du genka teigen chez les fournisseurs. Il précise qu’il ne s’agit pas d’acheter les produits moins chers, il s’agit de les fabriquer moins cher et d’apporter du soutien au fournisseur pour qu’il apprenne à fabriquer en gagnant plus d’argent. C’est clairement du « human capital development ».
Au final, on ne choisit pas d’augmenter la valeur en explosant les coûts ou vice-versa. L’astuce du lean est de chercher à engranger de l’apprentissage en continu pour avancer sur les deux fronts en commençant par mettre en place un système de visualisation des zones de conflit dans lesquelles la valeur est bloquée (Obeya, tableau d’analyse de production, système andon, boite de lissage…), puis en donnant une méthode (PDCA) et des espaces aux gens pour apprendre à coopérer afin de libérer cette valeur et l’accroitre (Tableau de résolution de problème, kaizen, communauté de pratique…). Donc pour résoudre ce conflit entre la valeur et le coût, il faudra commencer par s’intéresser aux gens, comme toujours.