La question du blog : Quelle est notre théorie des gaspillages ?
Lors d’un gemba, nous observons un soudeur à son poste avec le dirigeant de cette entreprise industrielle. A la surprise du dirigeant, le soudeur faisait des tas de choses qui n’avaient rien à voir avec la soudure en question… déplacement, préparation de son poste, recherche d’un outil, nettoyage… Bien sûr il en est de même pour un développeur qui fait tout un tas d’autres choses que de coder, ou bien un conducteur de taxi qui rempli une partie de sa journée avec autre chose que de conduire des passagers d’un point A à un point B.
Cette scène du soudeur m’a ramenée à notre dernier voyage au Japon, devant le sensei Amezawa qui observait l’assemblage d’une voiture en répétant « no value, no value, no value…», et d’un seul coup s’écriait « VALUE ! ».
De retour dans cette usine de production française, cela m’a amené à interroger le blog du lean.
Les 7 muda sont aujourd’hui bien connus, pourtant ils sont toujours là, sous nos yeux.. Qu’est-ce que nous ne pouvons ou ne voulons pas comprendre ? Qu’en est-il de notre théorie des gaspillages et des principes sous-jacents ?
La réponse de Olivier
Au constat du poids de la tradition (cf. la première partie de l’article d’Olivier) j’aimerais ajouter une autre expérience vécue très souvent auprès des ingénieries que j’accompagnais dans ce passionnant safari qu’est le débusquage des gaspillages dans les processus opérationnels.
Je crois très important et même fondamental (au sens de « essentiel pour établir de bonnes fondations ») de ne pas commencer à vouloir éliminer des gaspillages sans avoir préalablement :
- Délimité le terrain de jeu et très attentivement circonscrit le périmètre, le terrain et sa géographie précise auxquels on va s’attaquer
- Et ayant ainsi fait (et ce n’est pas une mince opération) de s’intéresser au(x) client(s) du processus sur lequel nous allons travailler.
Bref, avant de penser « mudas », penser « QUOI » (circonscrire précisément l’étendue du terrain) et « POUR QUI » (le client du processus que nous allons chercher à améliorer).
Ne pas le faire revient à travailler à l’aveugle. « Pour qui travailles-tu ? » est une question lancinante qui revenait fréquemment dans ma bouche lors des coups de main que j’étais amené à donner fréquemment aux équipes d’ingénierie et aux bureaux d’études qui face à trop de cailloux sur leur chemin se lançaient courageusement dans une réflexion sur leurs pratiques.
Cette question, neuf fois sur dix recevait toujours la même réponse « ben, quoi, c’est évident : notre client, c’est la personne qui achète nos voitures ». Alors plutôt que de discuter cette vertueuse affirmation, j’amenais mon interlocuteur à me décrire ce qui se faisait chez lui et comment on travaillait dans leur service pour le faire.
Au moment précis où j’entendais la phrase « bon alors là, tu vois, c’est à ce moment-là que nous envoyons nos specs à ces emmouscailleurs des achats qui les veulent toujours pour avant-hier » (je vous cite une phrase typique) je m’exclamais « STOP ! » et ajoutais « A qui envoies-tu ton livrable » ? « Ben, aux achats, je te l’ai dit ». « Et tu ne penses pas que c’est eux ton client ? »
Je vous passe les longues discussions autour de la notion de client, car il est parfois difficile de faire simplement admettre que notre client, c’est tout simplement celui ou bien l’entité (éventuellement externe à l’entreprise) à qui nous fournissons nos livrables. Faute d’avoir déniché tous les clients du processus (et il en est parfois de surprenants !), il est illusoire de vouloir commencer à s’intéresser aux gaspillages pour une raison toute bête : ce qui sera considéré comme gaspillage par un client donné (« oh, moi ce qui m’intéresse c’est que tu me livres ces specs à temps et je me fiche bien de savoir que tu es en retard parce que tu dois aussi travailler sur un dossier d’homologation ») pourra au contraire être vu comme une valeur ajoutée essentielle pour un autre client du processus (« j’ai besoin de ton chapitre technique pour ce dossier d’homologation, car si nous ne sommes pas à l’heure pour celui-ci, nous n’obtiendrons tout simplement pas l’autorisation de vendre dans tel ou tel pays »)
Je n’élude pas la question de savoir qu’est-ce qui nous aveugle ou qui nous retient dans notre recherche des gaspillages ! Je dis simplement que pour pouvoir s’y intéresser, il faut d’abord comprendre POUR QUI nous travaillons car selon les clients le gaspillage ne sera pas du tout vu de la même façon. Mon expérience m’a aidé à affiner ma perception sur cette question, elle m’a montré que cette question n’est pas aussi simple et innocente qu’il y parait de prime abord et que bien souvent nous commençons par être aveugles sur le fait de comprendre pour qui nous travaillons.
C’est la raison qui nous a poussé lors de la création des « Unités Elémentaires de Conception » chez PSA (désormais Stellantis) à l’époque, à faire décrire précisément à chacune de nos UEC pour qui elle travaillait, à qui et à quelles entités elle fournissait des livrables.
Alors et seulement alors nous avons pu commencer à nous intéresser à rechercher les gaspillages dans nos manières de travailler pour tous ces clients. Ne mettons pas la charrue avant les bœufs !