La question du blog : Quelle est notre théorie des gaspillages ?
Lors d’un gemba, nous observons un soudeur à son poste avec le dirigeant de cette entreprise industrielle. A la surprise du dirigeant, le soudeur faisait des tas de choses qui n’avaient rien à voir avec la soudure en question… déplacement, préparation de son poste, recherche d’un outil, nettoyage… Bien sûr il en est de même pour un développeur qui fait tout un tas d’autres choses que de coder, ou bien un conducteur de taxi qui rempli une partie de sa journée avec autre chose que de conduire des passagers d’un point A à un point B.
Cette scène du soudeur m’a ramenée à notre dernier voyage au Japon, devant le sensei Amezawa qui observait l’assemblage d’une voiture en répétant « no value, no value, no value…», et d’un seul coup s’écriait « VALUE ! ».
De retour dans cette usine de production française, cela m’a amené à interroger le blog du lean.
Les 7 muda sont aujourd’hui bien connus, pourtant ils sont toujours là, sous nos yeux.. Qu’est-ce que nous ne pouvons ou ne voulons pas comprendre ? Qu’en est-il de notre théorie des gaspillages et des principes sous-jacents ?
La réponse de Sandrine
Samedi matin, je me rends à ma banque pour enfin récupérer ma nouvelle carte bleue, après deux mois de péripéties. Ma carte s’était perdue dans le courrier, puis mon conseiller était en vacances, et maintenant je dois me déplacer dans une agence pour récupérer ma nouvelle carte. A l’accueil se trouve une dame, debout devant une table haute sur laquelle est posé un ordinateur. De l’autre côté de ce petit comptoir, six personnes attendent leur tour à la queue leu leu. Je suis la septième. A part nous, la banque a l’air vide. Au bout de 45 min, c’est enfin mon tour. La personne à l’accueil se bat avec son ordinateur : quelque chose ne fonctionne pas. Elle s’excuse et appelle le service IT. Pas de réponse. Elle stresse. Ne pouvant pas accéder à mon compte, elle décide d’aller chercher ma carte dans un grand tiroir. Elle ne la trouve pas. Elle revient à son ordinateur dans l’espoir de pouvoir accéder à mon compte pour vérifier le nom et numéro de la carte. Toujours pas. Au bout de 10 minutes, elle trouve enfin ma carte dans le tiroir, sans l’aide de son ordinateur.
Mes expériences avec cette banque sont désastreuses, et c’est ainsi depuis des années. C’est la raison pour laquelle je me décide enfin d’ouvrir un compte dans une autre banque qui semble être plus proche de ses clients. Pourtant, la direction de la première banque pense qu’elle se porte bien, chiffres à l’appui : le nombre de rendez-vous clients a doublé, les ventes des nouveaux produits continuent d’augmenter, et le NPS est bon.
La différence de perception de la valeur vient du fait que mon ancienne banque s’intéresse plus à tenir ses objectifs locaux qu’à rendre l’expérience client parfaite. L’attention des gens n’est pas mise au bon endroit. La preuve : les huit conseillers d’agence présents ce jour-là étaient tous occupés dans leur bureau à effectuer les six rendez-vous obligatoires et à vendre les nouveaux produits pour tenir leurs objectifs. Le temps de la personne à l’accueil était soit disant « bien utilisé » : elle n’a pas eu une seule minute d’inactivité car il y eut une longue file d’attente toute la matinée ! Quant au NPS : il est positif mais il est basé sur des questionnaires très longs, envoyés aux clients deux fois par an, et les questions sont trop spécifiques. Il ne reflète pas la réalité des clients dans leurs interactions avec la banque au quotidien.
Imaginons maintenant que le directeur de la banque ait un autre objectif et qu’elle le transmette à tous les employés : créer l’expérience la plus fluide et agréable possible pour tous les clients. Les décisions et les réactions des gens seraient différentes. On passerait moins de temps à s’occuper ou à occuper les gens au maximum pour rentabiliser leur temps. C’est vrai aussi pour les machines : quand on est plus intéressé par la rentabilité d’une machine (physique ou tech) que par l’expérience client, on vise à utiliser la machine le plus possible. Notre regard sur les problèmes à résoudre est alors différent. Si j’achète une maison de vacances, j’essaie d’y aller le plus souvent possible, et je me sens coupable de dormir à l’hôtel, même lorsque j’ai envie de voyager.
Dans le cas où l’objectif principal est d’améliorer la rentabilité d’une ressource ou d’un ensemble de ressources, on va chercher des solutions pour y arriver. Par exemple, on va chercher à produire en batch plutôt que d’aller vite sur chaque demande client. En revanche, si l’objectif est de satisfaire pleinement le client, on va chercher des solutions pour améliorer son expérience globale. Le jeu change : il s’agit alors de savoir repérer les points de blocage dans l’expérience client et de les retirer vite (kanban + jidoka). Apprendre le langage des gaspillages s’avère être très utile dans ce cas aussi bien pour la détection que pour la résolution des problèmes en équipe.
L’idée fausse sous-jacente est qu’il faut améliorer la rentabilité de chaque ressource pour améliorer la productivité, et donc pour réduire les coûts. Bien que cette idée ne soit pas saugrenue, c’est en réduisant les gaspillages dans les flux de valeur que l’on améliore la rentabilité globale : les clients satisfaits restent, donc les ventes augmentent plus facilement, et aussi, on est capable de les satisfaire avec moins de ressources car on sait aller plus vite. Orienter le regard des gens sur l’expérience client permet de focaliser les énergies sur l’élimination des gaspillages.