La question du blog : Quelle est notre théorie des gaspillages ?
Lors d’un gemba, nous observons un soudeur à son poste avec le dirigeant de cette entreprise industrielle. A la surprise du dirigeant, le soudeur faisait des tas de choses qui n’avaient rien à voir avec la soudure en question… déplacement, préparation de son poste, recherche d’un outil, nettoyage… Bien sûr il en est de même pour un développeur qui fait tout un tas d’autres choses que de coder, ou bien un conducteur de taxi qui rempli une partie de sa journée avec autre chose que de conduire des passagers d’un point A à un point B.
Cette scène du soudeur m’a ramenée à notre dernier voyage au Japon, devant le sensei Amezawa qui observait l’assemblage d’une voiture en répétant « no value, no value, no value…», et d’un seul coup s’écriait « VALUE ! ».
De retour dans cette usine de production française, cela m’a amené à interroger le blog du lean.
Les 7 muda sont aujourd’hui bien connus, pourtant ils sont toujours là, sous nos yeux.. Qu’est-ce que nous ne pouvons ou ne voulons pas comprendre ? Qu’en est-il de notre théorie des gaspillages et des principes sous-jacents ?
La réponse de Catherine
On ne voit pas ou on ne s’intéresse pas sérieusement aux 7 gaspillages ou muda parce qu’on les regarde trop souvent par le petit bout de la lorgnette. Et les malheureux en première ligne à qui on s’adresse pour les corriger n’ont bien souvent pas la main pour le faire.
Essayons de décortiquer le problème. Nous sommes tous familiers des 7 muda en production :

Ils sont d’ailleurs très pertinents dans des activités de services ou de bureau, vous pourrez vous en convaincre en lisant « le muda sous la moquette ».
Malheureusement, les 7 gaspillages ont souvent été compris de travers. Ils ne sont en fait que les symptômes d’un problème plus profond et qui dépasse largement les opérateurs et leur management, à qui on confie pourtant la charge d’éliminer les gaspillages. Il faut apprendre à les voir, ces gaspillages, bien sûr, ce serait l’objet d’un article à lui tout seul, mais leur éradication, ou à tout le moins, leur atténuation, va requérir d’autres acteurs souvent non engagés dans, voire ignorants de, l’exercice.
Si on fait un zoom arrière, on réalise que ces 7 gaspillages viennent d’erreurs de conception ou d’absence de kaizen sur 4 sujets majeurs :

La conception du produit (ou l’absence de réflexion, d’apprentissage et de kaizen sur cette activité extrêmement impactante) va d’abord avoir un impact immédiat sur la supply chain, par le choix des matières et des composants. S’approvisionner à l’autre bout de la Terre pour des raisons de coûts unitaires n’est pas anodin, choisir de nouveaux composants plutôt que ceux qu’on connait, non plus. La conception du produit est également la source possible d’une sur-production de fonctions et fioritures inutilisées par l’usager final, mais qui génèreront à leur tour des processus inutiles de production et leurs coûts afférents, à commencer par la consommation inutile de matières et d’énergie. Enfin, le rebut matières, les retouches nécessaires pour parvenir à un produit vendable sont très souvent imputables à un défaut de conception. Les coûts de mise au point d’un nouveau produit sur une ligne, lors de son lancement, sont révélateurs d’une conception mal maîtrisée.

Les choix de la supply chain, y compris ceux faits sur le flux de production lui-même (flux poussés ou tirés, continus ou pas), vont quant à eux directement impacter les stocks, donc les attentes. Le choix d’un flux poussé créera de la sur-production sur certaines gammes. Et les taxis de dépannage sont autant de transports inutiles générés par l’inefficacité de la supply chain.

Les choix de supply chain vont également impacter la conception de la ligne, et notamment des bords de lignes. Par exemple, le choix d’un conteneur de 100 composants sur le bord de ligne (au lieu de 20) va accroître la surface requise et donc les déplacements de l’opérateur qui vient se servir.
La conception des lignes et le choix des machines est une autre source importante de gaspillages, souvent méconnue, sans doute parce qu’elle est vue comme un problème de spécialistes high tech (un peu comme la conception des systèmes ou applications informatiques) dont le domaine nous dépasse. Pourtant, une machine peu flexible, face à une production high mix low volume, va créer d’importantes lourdeurs : temps de changement de série long, donc lots importants, donc stocks et stagnation. Une machine ou une ligne mal conçue ou ne faisant pas l’objet d’un kaizen après un changement important va aussi créer des retouches et des mouvements inutiles.

Le seul domaine où les opérateurs de première ligne ou leur management peuvent éventuellement être sollicités est celui de la conception ou du kaizen autour du poste de travail. Les retouches et les mouvements inutiles peuvent venir d’un standard sur le geste sub-optimal ou de la non-application du standard.

L’élimination (l’atténuation) des gaspillages ne peut donc venir que d’une présence forte et répétée sur le terrain, le gemba, des ingénieurs produits, des responsables de la supply chain, des experts manufacturing engineering et du management de production.
Ce sont eux qui ont la clé du kaizen, et leur job est :
- de rendre la vie des opérateurs en première ligne plus facile.
- de travailler avec du kaizen l’impact de chaque changement d’ingénierie produit, process, machine ou flux qu’ils apportent, afin de redonner aux opérateurs le niveau de facilité et de fluidité dont ils ont besoin pour opérer sans (trop de) gaspillages.