Des machines au service de l’Homme et pas l’inverse

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La question du blog : Pourquoi associe-t-on le « respect for people » au pilier du jidoka ?

La réponse de Sandrine

J’étais récemment sur le gemba d’un centre de reconditionnement véhicule de l’entreprise Stimcar. Les patrons, Jean-François et Yann, sont géniaux – passionnés, humains, terrain. L’entreprise cartonne et a un long avenir devant elle. Pourtant, ils ne sont pas entièrement satisfaits : ils ont l’impression que leur entreprise stagne car ils répètent les mêmes erreurs. Pour comprendre cette frustration, nous sommes allés sur le terrain. Comme d’habitude, le terrain est riche d’informations si l’on sait regarder, écouter, sentir. 

Nous commençons par la fin du processus, la zone de livraison, pour voir si les véhicules reconditionnés sont livrés dans les temps. Puis nous repartons au début du processus et redescendons le flux, un poste à la fois. Un système informatique gère le flux et chaque poste a un écran qui lui montre quels sont les prochains véhicules à faire. Globalement, le concept est intéressant car il permet à tous, y compris les clients, de voir où en sont leurs véhicules. Pourtant, quelque chose attire mon attention : les personnes doivent cocher une case dans le système informatique à chaque fois qu’ils ont terminé une action sur le véhicule en cours. Ces cases correspondent à une tâche prédéfinie. Ce qui embête les managers est que les employés ne cochent pas les cases systématiquement après avoir terminé chaque tâche, et souvent ils en cochent plusieurs en même temps quand ils ont un moment ou à la fin de la journée. Ainsi, le système informatique ne reflète pas entièrement la réalité du terrain. Moi, ce qui m’embête, c’est plutôt que l’on mette les personnes dans une situation de dépendance vis-à-vis du système informatique. Un des principes du Jidoka dans la maison Toyota est l’ « autonomation », ou « automation with a human touch », concept dans lequel la machine est au service de l’homme et non l’inverse. La machine sait reconnaître les défauts et s’arrête toute seule, et dans certains cas, sait même les réparer sans intervention humaine. Ce qui permet aux personnes de passer plus de temps à faire des choses plus valorisantes pour le client et pour eux-mêmes, que de s’occuper des machines. Idéalement, chaque véhicule en reconditionnement chez Stimcar devrait nous parler, c’est-à-dire nous donner toute l’information dont la personne a besoin pour savoir ce qu’il se passe et comment réagir, pas le système informatique : si le véhicule est au bon endroit au bon moment dans le flux, s’il a des défauts qu’il ne devrait pas avoir, s’il est le bon véhicule à travailler maintenant, etc. 

Au poste final du contrôle qualité, je remarque que le système informatique montre quatre véhicules alors que nous n’en voyons que trois. L’opérateur précise qu’il a remarqué un problème sur un des véhicules et qu’il l’a donc fait déplacer à un poste plus en amont pour qu’il soit repris. Il y a plusieurs problèmes avec cela. Le premier est que cela crée des interruptions pour le poste amont et donc des ralentissements dans la chaîne. Le deuxième est que c’est délicat pour l’agent du contrôle qualité de renvoyer des véhicules à des postes amont car cela envoie le message « vous n’avez pas fait votre boulot » aux collègues. Le troisième est que l’on continue de faire les mêmes erreurs. L’opérateur nous dit qu’il rencontre ce type de problème périodiquement. 

Le principe clé du Jidoka est l’arrêt au premier défaut, dans le but d’éviter de découvrir les problèmes de qualité en fin de chaîne, ou pire de les faire passer aux clients. Chaque découverte d’un problème par un opérateur, n’importe où dans le flux, est signalée à tout le monde et le responsable d’équipe est chargé de travailler avec les opérateurs pour résoudre le problème tout de suite et débloquer le flux. Puis ensuite, de trouver des solutions pour éradiquer le problème avec les personnes concernées. Cela permet d’abord d’éviter de laisser les gens subir les problèmes seuls et créer des conflits internes ou des situations inconfortables. Mais aussi, c’est une manière de reconnaître que chaque personne a la capacité et l’intelligence d’améliorer l’entreprise, un problème à la fois, en proposant leurs propres solutions. Après tout, c’est eux qui font le travail tous les jours : ils connaissent les problèmes, et auront probablement de bien meilleures idées que les managers pour améliorer leur propre travail et mieux travailler avec leurs collègues. Ainsi, le rôle du manager n’est plus de contrôler que les gens ont fait leur travail (cocher les cases) ni de leur dire quoi faire en cas de problème (renvoie le véhicule au poste amont, ils n’ont qu’à faire leur travail), mais de créer les conditions pour qu’ils puissent résoudre les problèmes avec leurs collègues plus facilement.

C’est une question de respect des personnes, si cher au lean.

Sandrine Olivencia

Sandrine Olivencia

Membre de l’Institut Lean France et associée de Lean Sensei Partners. Co-auteure de la chronique Lean Sensei Women sur le site du Lean Enterprise Institute américain.

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