La question du blog : Pourquoi associe-t-on le « respect for people » au pilier du jidoka ?

La réponse de Jacques
Nous étions arrivés devant la machine. 1 million d’euros, vingt mètres de long, le joyau de l’atelier. Un process compliqué, des réglages sophistiqués. Au bout de la machine, deux opérateurs. L’un d’eux, une spatule à la main, enlève un surplus de matière noire et visqueuse, déposée automatiquement en fin de process pour assurer l’étanchéité du produit final. On devine que la situation n’est pas normale. Un peu de matière tombe au sol. Par chance, personne ne marche dessus. Avec un sourire forcé, l’opérateur nous explique qu’un mauvais réglage, en amont, est responsable de cet incident. L’équipe de maintenance est occupée ailleurs. Le second opérateur tourne autour de son collègue, ne sachant trop quoi faire. Echange de regards embarrassés avec mon hôte et ami, propriétaire et dirigeant de l’entreprise. Il décide de poursuivre la visite.
Sur le chemin du retour, après un débriefing alourdi par le malaise qu’avait provoqué l’incident devant la machine, la question récente du blog du Lean me revint à l’esprit: « Pourquoi associe-t-on le « Respect for people » au pilier du Jidoka ? Je réalisais que je venais de vivre, en creux, la réponse: “pas de véritable respect sans Jidoka!”
Cet ami veut vraiment « faire du lean ». Avant la visite, soucieux du bien-être de ses collaborateurs, il m’avait montré sa dernière initiative, une flotte de vélos électriques en libre service. Comme je l’avais cru moi aussi avant de démarrer le lean, il pensait ainsi respecter sincèrement ses collaborateurs. Mais l’incident vécu ensemble indiquait une autre direction : la première marque de respect se lit dans les conditions de travail, celles de ces deux opérateurs -compétents et engagés- livrés aux caprices de la « machine ». Vouloir rendre heureux est un projet louable, ne pas rendre malheureux est le premier des devoirs. C’est la principale contribution du Jidoka.
C’est aussi le premier « outil » de l’histoire du Lean, sans doute créé par respect filial: on dit en effet que Sakichi Toyoda – fondateur de Toyota- avait inventé ce mécanisme d’arrêt automatique de la navette en cas de casse d’un fil, pour soulager sa mère de la surveillance continue de son métier à tisser. Il mettait ainsi l’automatisation au service des personnes et non l’inverse (d’où sa traduction: autonomation = autonomie + automatisation).
Le Jidoka est une profonde marque de respect car il garantit l’intégrité des personnes au travail: intégrité de leur action d’abord: pas de fatigue inutile, ni de temps perdu à surveiller un process; pas de gaspillage de ressources ni transmission du défaut à l’aval. Le Jidoka respecte aussi l’intégrité de la pensée et de la réflexion. L’arrêt est une opportunité de dialoguer et corriger, de comprendre, d’apprendre et d’améliorer. C’est le geste délibéré de l’andon, quand l’opérateur décide de mettre en pause le process en attente d’aide.
C’est sans doute ce qu’il manquait à cette machine: un signal d’arrêt ou de mise en pause automatique ou manuelle, visible et compréhensible par tous; il manquait surtout, une fois l’appel lancé, une chaîne d’aide diligente: ne pas laisser la personne seule avec le problème et libérer ensuite du temps et de l’espace pour creuser la question. En bref, associer in situ management visuel de l’action (signal lumineux ou sonore, andon, bacs rouges…) et management visuel de la réflexion (tableau de suivi et résolution de problèmes…)
Ma prochaine visite est prévue avant l’été. Nous reparlerons sûrement de l’incident. Mon ami lira peut-être ce post d’ici là. Il se reconnaîtra et j’espère qu’il me pardonnera d’avoir simplifié voire caricaturé le contexte pour les besoins de la narration!