Changez de paradigme pour montrer du respect

man s hand in shallow focus and grayscale photography

La question du blog : Pourquoi associe-t-on le « respect for people » au pilier du jidoka ?

La réponse de Catherine

Mais tout simplement parce que le Jidoka se nourrit du respect et que le respect ne saurait exister sans Jidoka !

Le Jidoka, rappelons-le, est le pilier du Toyota Production System qu’on appelle parfois le pilier de l’automatisation intelligente. Le but est de faire en sorte qu’une pièce manquante, un défaut sur le produit, une usure de l’outil ou des conditions anormales soient détectées par la machine (ou l’opérateur dans un processus plus manuel) : si le problème peut être réglé rapidement, sans remettre en cause la cadence du reste de la ligne, parfait, sinon, l’opérateur en charge ou son team leader arrêtent toute la ligne pour corriger avant de redémarrer. Cela permet d’éviter la propagation du défaut sur le reste de la ligne.

Cela peut paraître a priori évident, plein de bon sens, mais c’est loin d’être simple. Et très loin d’être universel. Sur une chaine automobile, une ligne de production en flux continu représente 450 postes de travail ! Posez la question autour de vous : une journée de production considérée comme réussie, dans l’industrie, les services ou le numérique, est-elle vraiment une journée où l’on a tout arrêté plusieurs fois pour débusquer et corriger des défauts ? N’est-ce pas plutôt une journée sans arrêt du flux, une journée où on a produit sans interruption ?

Quand Toyota a voulu créer ses premières lignes de fabrication aux Etats Unis, dans les années 80, par le biais d’une Joint-Venture avec General Motors, la simple idée de déléguer aux opérateurs de la ligne un pouvoir d’agir face à la non-qualité, au point de déclencher un arrêt s’ils voyaient une anomalie qu’ils ne pouvaient résoudre, était une vraie révolution. Du temps de General Motors, leur objectif était strictement de tenir la cadence : déclencher un arrêt de ligne dans cette même usine était considéré comme un acte de sabotage.  

C’est donc bien de Respect for people qu’il s’agit : tout le monde, partout, tout le temps, s’inquiète de la qualité. Et tout le monde, partout, tout le temps a le droit, non, le devoir, de demander de l’aide et de ne pas passer un défaut au collègue sur le poste suivant. Passer un défaut aux autres est un manque de respect, puisque vous les obligez soit à poursuivre l’assemblage du produit, la rédaction du dossier, l’écriture du code sur des fondations branlantes (et donc potentiellement à travailler pour rien) ; soit à lancer eux-mêmes une retouche à un stade bien plus tardif, donc plus onéreux, de la fabrication ou de la livraison. Le cerveau de chacun, son savoir-faire, sa responsabilité dans le groupe, sont donc constamment sollicités.

Cette responsabilité de détecter et d’alerter en cas d’anomalie est une manière intelligente et efficace de développer chez tous ceux qui le veulent une vraie envie d’améliorer les choses : le poste de travail, les déplacements, le geste. Ce qui était le pré carré du superviseur, où seul le chef sait et décide, devient le terrain de jeu de l’équipe.

Mais ce n’est pas tout ! L’automatisation intelligente des machines (Jidoka) permet aussi de ne plus asservir l’humain à la machine. En rendant les machines intelligentes, capables de mesurer des conditions anormales de fonctionnement, de s’arrêter automatiquement au-delà d’un nombre prédéterminé d’heures pour changer des outils usés, de détecter une mauvaise position du produit, ou une pièce manquante, de décharger automatiquement les pièces usinées, on peut réduire ou supprimer une présence ou intervention humaine sans grande valeur ajoutée. C’est tout aussi vrai des systèmes informatiques, qui ont des capacités de stockage de données et de calcul démesurées par rapport aux nôtres.

Bien, me direz-vous, mais en quoi remplacer des humains par des machines ou des systèmes est-il une preuve de Respect for people ? Depuis les prémices de l’industrialisation au 19ème siècle, cette perspective fait craindre le pire : perte d’emploi, bien sûr, mais aussi perte de la maîtrise sur l’ensemble du processus et sur son environnement. Une entreprise respectueuse de ses ressources humaines doit donc réfléchir à leur nouveau rôle : les humains peuvent être assignés à des rôles d’amélioration, de contrôle fin de la qualité, de changements de série, de maintenance et surtout de maîtrise de l’ingénierie de la machine ou des systèmes informatiques.

Le vrai manque de Respect for People serait :

  1. D’automatiser sans prendre en compte toute l’expérience humaine sur le geste (on n’automatise que ce qu’on maîtrise dans les plus infimes détails)
  2. De virer les humains que les machines ou systèmes remplacent : on a besoin d’eux, de nous, pour garder la maîtrise des machines et systèmes, pour comprendre leurs fragilités et les transformations qu’ils opèrent, pour les maintenir et les paramétrer. Et pour observer et réfléchir aux améliorations possibles, ce que les machines, si intelligentes soient-elles, ne savent pas faire !

Si le sujet vous intéresse, lisez cet article sur Avex, un fournisseur de rang 2 de Toyota au Japon : ils ont tout compris au Jidoka !

Catherine Chabiron

Catherine Chabiron

Spécialiste du Lean dans les services, Catherine Chabiron a été Directeur Lean Office chez Faurecia pendant onze ans. Elle publie régulièrement les récits de ses gemba walks en entreprise sur Planet Lean. La compilation de ces récits est disponible dans le livre Lean en France.

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