La question du blog : Qu’est-ce qui donne envie aux gens de faire du kaizen ?
Un peu de contexte : Un patron, très engagé dans le lean, voudrait « embarquer » ses collaborateurs dans l’aventure, mais il fait face au pushback des équipes (ex. “pas le temps, ça marchera pas ici, on fera ça quand on aura le temps”…).
La réponse de Cécile
Le Kaizen représente l’essence du Lean, ce qui en fait la spécificité. Pourtant, comme souvent avec les mots, le sens profond n’est pas si facile à comprendre. Jun Nakamuro[1]a montré comment les traductions du mot ont introduit des contresens très dommageables à l’esprit du Lean.
Le mot Kaizen est représenté par deux Kanji souvent traduits par « changement » (Kai) et « bon » (Zen) et adaptés en « Amélioration Continue » :

Ce terme d’amélioration continue met l’accent sur ce que Jun Nakamuro appelle l’amélioration physique des processus, des machines et des technologies, pour lequel il utilise plutôt le terme Kairyo, et altère l’aspect beaucoup plus personnel du Kaizen. Lui parle plus d’auto développement continu. Il s’agit en réalité que chacun apprenne continuellement à challenger son propre état d’esprit, ce qui va bien au-delà de l’amélioration continue telle qu’on l’entend habituellement.
Du coup, cela met pour moi en avant la plus grande idée fausse concernant le Kaizen… là où trop souvent les managers voudraient faire faire du kaizen aux équipes, l’idée est avant tout de devenir kaizen soi même afin de pouvoir inspirer les autres.
Pas plus qu’on ne peut OBLIGER un adulte à apprendre, on ne peut OBLIGER quelqu’un à s’améliorer. Tout ce qui peut être fait, c’est de mettre en place les conditions de l’apprentissage, et de susciter l’envie. De même pour le Kaizen. Comment donner envie ? Comment mettre en place les conditions de réussite ? S’il est bien un cas où la motivation intrinsèque est fondamentale, c’est l’amélioration. Tous les leviers extrinsèques (la carotte et le bâton) finissent par échouer.
Comment donner envie aux équipes de s’améliorer ?
- Savoir montrer pourquoi il est nécessaire de s’améliorer ! Trop souvent, j’entends dire « nous ne sommes pas si mauvais que cela, les résultats sont bons ». Mais savons-nous ce que font les concurrents ? Savons-nous dans quelle direction (et avec quels apprentissages) l’entreprise doit aller demain ? Serons-nous prêts à apprendre vite lorsque la prochaine grosse tuile (COVID, crise des matériaux, sécheresse…) nous tombera dessus ? Il est fondamental de partager régulièrement sur les enjeux du business et la participation de chaque équipe à ces enjeux. De quoi ont besoin nos client aujourd’hui ? De quoi auront-ils besoin demain ? Dans quelle direction voulons-nous aller ? Comment chaque personne peut-elle apporter sa pierre ?
- S’intéresser sincèrement et sérieusement aux idées des gens. Tant que l’amélioration est considérée comme un truc en plus, et non pas partie intégrante du job, c’est ce qui passera en dernière priorité à la moindre difficulté. Avoir besoin de s’améliorer ne veut pas dire qu’on travaille mal, mais que rien n’est jamais parfait ; il y a toujours des choses qui évoluent dans le contexte du travail et qui changent les conditions, demandant à réviser nos façons de faire.
- Être exemplaire dans son attitude… le leadership consiste avant tout à appliquer à soi-même l’état d’esprit que l’on voudrait que tout le monde adopte. Faites ce que je dis, pas ce que je fais… n’a jamais été le meilleur moyen d’embarquer qui que ce soit.
Quel sont les conditions de réussite ?
- Donner du temps. Les activités de Kaizen doivent être inscrites dans les agendas. C’est le seul moyen de montrer que l’amélioration fait partie du job, et d’inscrire le kaizen comme une activité comme les autres.
- Bien choisir les sujets et les exercices de réflexion associés. Proposer une méthode adaptée, et ne jamais se lasser d’en expliquer les intentions. « Donner un objectif sans méthode, c’est cruel. Donner une méthode sans objectif, c’est crétin »[2]
- Questionner régulièrement le statu quo.
Concernant le Kaizen, les arguments des équipes sont presque toujours les mêmes. Les voici tels que je les entends le plus souvent :
- On n’a pas le temps,
- On n’a plus d’idées,
- On a déjà des tas de workshops à animer avec le plan de transformation en cours, il faut aussi qu’on bosse de temps en temps !
- On sait déjà ce qu’il faut faire, pourquoi s’embêter dans une démarche lourde et formelle ?
- Si tu étais venue l’an dernier, tu aurais vu que c’était bien pire !
Comme je pars du principe que les gens ne mentent pas d’emblée (sauf si ils se sentent menacés !), je prends chacun de ces arguments et je regarde de prés. Voici certains cas de figures que j’ai pu observer.
Cas de figure n°1 : Les ruptures pour les stratèges et le kaizen pour les autres.
Le Top management fait souvent une grande différence entre les améliorations en rupture et les petits pas. Les ruptures sont décidées par les sachants (ceux qui établissent la stratégie) et sont inscrites dans des plans de transformation outillés, suivis par des consultants (internes ou externes, suivant les moyens dont on dispose…) et déclinés dans les équipes sous forme de workshops plus ou moins nombreux et longs. On laisse aux équipes le soin de faire des « petites améliorations » au quotidien, le plus souvent traiter leurs « irritants ».
Devinez quoi ? les choses ne se passe pas toujours comme prévu.
- La stratégie décidée « en haut » n’est pas confrontée à la réalité du terrain. Si cela ne se passe pas comme prévu, on accuse les gens «de « résister au changement »,
- Les équipes s’épuisent dans des chantiers interminables, et les « volontaires » sont souvent les mêmes,
- Les « petits pas », idées proposées localement, n’ont plus de place… alors même que très souvent, c’est à travers ces observations que les signaux faibles devraient nous amener à réfléchir à la bonne direction.
Résultats ? Surcharge et frustration.
Cas de figure n°2 : Les idées doivent venir des équipes, les managers ne s’en mêlent pas.
Les managers de proximité, à qui on a répété que leur rôle n’est pas de donner des idées, mais de laisser émerger celles de leurs équipes, n’interviennent pas dans les activités de kaizen.
- Les gens partent sur de « mauvais sujets » : laisser une équipe améliorer localement une pratique totalement inutile n’est ni une marque de respect ni un levier d’efficacité !
- Les équipes s’arrêtent à la première idée qui marche, sans que personne ne les challenge (ni ne les autorise) à aller vers des mesures originales et innovantes.
Résultats ? Usure des équipes.
Cas de figure n°3 : Une méthode bureaucratisée, dont on a perdu l’intention initiale (faire réfléchir les gens à leurs façons de travailler) pour leur imposer un cadre inadapté. Il y a différentes méthodes pour aider les gens à élaborer leurs raisonnements, à voir ce qui ne se passe pas comme prévu, et à explorer le champ des possibles. Mais la méthode unique, mal comprise ou mal adaptée ne donnera pas les résultats attendus :
- Quand on a un marteau, tout se transforme en clou…. Être capable de choisir la bonne méthode, et revenir toujours aux intentions de ce qui est demandé permet de ne pas proposer un marteau piqueur pour enfoncer une punaise… A contrario, un sujet technique complexe ne progressera pas avec quelques séries de 5 pourquoi !
- L’outil imposé comme une norme, se transforme en bureaucratie. Par exemple quand on constate que la formalisation d’un « chantier » a été faite a posteriori, mise au propre ou… totalement réécrite, il est temps de s’interroger sur le sens donné à la démarche.
- L’intérêt du management se porte sur l’indicateur du nombre de Kaizen, rarement sur la démarche adoptée par l’équipe. Il est alors tellement tentant de faire semblant… Puisque le management veut « du kaizen » on lui donne du kaizen. N’importe quel sujet est rebaptisé et présenté sous le format qui fera plaisir au chef. Et le tour est joué…
Résultat : Routine vide de sens.
Cas de figure n°4 : Le Kaizen est un exercice collectif ? Alors multiplions les réunions…
Pour se mettre d’accord sur le sujet, comprendre la façon actuelle de travailler, et émettre des idées, l’intelligence collective est absolument indispensable, et le choix des participants est clé. Mais lorsqu’il s’agit de tester les idées, d’en vérifier la validité, de procéder à des essais, alors il n’est pas nécessaire de faire d’interminables réunions. Il y a un équilibre entre le temps passé en groupe et les tests menés avec quelques personnes.
Résultat : … pas de résultat ! des sujets qui trainent pendant des semaines.
Ces quelques exemples ne prétendent pas à l’exhaustivité, ils sont toutefois assez représentatifs. Le point commun à tous ces cas est toujours le même : le kaizen est une plante qui a besoin de lumière (pourquoi le faire ?) et d’eau (les conditions en place) et de jardiniers qui se penchent souvent sur la plante…
Souvenons-nous que si les managers font semblant (de s’intéresser au Kaizen) les équipes feront de même. Faire semblant ? C’est parler sans agir, c’est ne jamais challenger… C’est venir sans écouter, c’est « oublier » de venir car vous avez mieux à faire…
Le Kaizen demande qu’on s’y intéresse, en permanence…
[1] Jun Nakamuro, Kaizen: Lost in translation, LinkedIn, 2016
[2] Michael Ballé, cité dans Le Lean en questions Cécile Roche, l’Harmattan