La question du blog : Qu’est-ce qui donne envie aux gens de faire du kaizen ?
Un peu de contexte : Un patron, très engagé dans le lean, voudrait « embarquer » ses collaborateurs dans l’aventure, mais il fait face au pushback des équipes (ex. “pas le temps, ça marchera pas ici, on fera ça quand on aura le temps”…). Julie nous explique pourquoi avec le lean et le Kaizen, on fait passer les personnes d’abord !
La réponse de Julie
” Les jeunes d’aujourd’hui ne prennent plus d’initiatives ? Nous devons être conscients que nous sommes ceux qui développons ces jeunes qui ne prennent plus d’initiatives “. N. Hayashi (1)
Le bon enseignant fait le bon élève. Le bon patron ferait donc le bon manager ? Il y a sans doute un peu de ça… Sur le terrain, j’observe deux phénomènes basiques :
- des dirigeants essayant de « motiver » par des récompenses (ie. incentives sur le salaire, prime) ou des punitions (menace, surveillance, flicage),
- des dirigeants cherchant à créer un environnement de travail “safe” dans lequel les gens se sentent à la fois à l’aise et ont le temps de parler de leurs problèmes, d’exposer et de tester leurs idées.
Tout n’est jamais noir ou blanc et je ne pense pas qu’il faille opposer ces deux perspectives. La difficulté est de trouver l’équilibre. Dans le cas n°1, la recette est simple : je récompense et je punis. Mais cela pose plusieurs problèmes : 1) ça coute cher de payer des superviseurs qui vont devoir surveiller sans cesse, 2) les employés ne resteront pas dans l’entreprise si vous leur demandez de “jouer” un vieux remake des temps modernes de Charly Chaplin, et 3) la méthode n’est pas efficiente dans un monde complexe et instable. Change or die, il est alors temps de se réinventer (ou de mourir lentement) !
L’alternative du cas n°2 part d’une conviction profonde : les gens sont plus productifs quand ils sont dans un état positif (good mood) et créatif (ils ont TOUS des idées). La négativité amène à faire des erreurs et l’absence d’espaces créatif et d’expression amène au désengagement, pire au sabotage. Le lean permet de créer cet environnement de travail “safe” sous deux conditions :
- Davantage s’intéresser aux gens, plus particulièrement à ce qu’ils pensent, ce qu’ils ressentent et ce qui les motivent plutôt qu’à ce qu’ils font et à leur obéissance aux règles,
- Le faire régulièrement et dans la durée (d’où l’intérêt des gemba walks).
Je me rappelle des premiers gemba du directeur d’un site industriel. Lorsqu’il a commencé ses gemba walks réguliers au début c’était bizarre, inconfortable, frustrant parfois. Normal, quand vous venez voir et poser des questions à une personne qui n’a pas forcément l’habitude de vous voir par ici, cela peut créer de la panique, éventuellement la personne peut « tomber » en blocage affectif (ie. “Je n’ai pas le temps de m’occuper de ça” ; “je ne vois pas le problème” ; “tu peux pas comprendre ma situation”…). Heureusement le dirigeant en question avait un très bon relationnel et les collaborateurs osaient parler en sa présence (ce n’est pas toujours le cas !). L’astuce est de traiter les gens comme des personnes à part entière et ni comme des enfants (ie. “je vais résoudre ton problème à ta place”), ni comme des robots (ie. “si tu respectais les règles tu n’aurais pas de problème”). Malgré les difficultés rencontrées sur les premiers gemba, le patron du site n’a pas cédé à la douce tentation de retourner dans le confort de sa salle de réunion, il est retourné sur le gemba tous les jours, s’est intéressé à chaque personne, à chaque pièce, et… il les a « fait parler » !
Ceux qui l’ont vécu le savent, quand vous revenez régulièrement sur le gemba, il se passe un truc magique. Les discussions deviennent de plus en plus intéressantes, les gens comprennent quelle direction vous souhaitez prendre et apprennent à voir les wastes qui se dressent sur le chemin, certaines personnes prennent des initiatives, testent des trucs nouveaux et smart. Ceci étant dit, ce n’est pas si simple d’aller sur le gemba, surtout quand on ne sait pas quoi y faire, où regarder et comment demander, on se sent vite perdu et aveugle, on pourrait dire qu’on perd le nord ! C’est pour ça que le TPS existe : c’est une boussole pour nous aider à avancer dans la confusion ou dans des trucs nouveaux et inconnus… en confiance.

A la base de la maison, avant le 2e étage dans lequel on retrouve le kaizen, est la confiance mutuelle entre le management et les employés. Un des premiers critères pour donner envie aux gens de faire quelque chose (et encore plus pour faire la bonne chose et la faire bien) est de créer un espace dans lequel on se fait confiance. Le truc génial avec le TPS c’est qu’il ne s’arrête pas au concept théorique, il nous montre des exercices pratico-pratiques à effectuer pour construire notre propre théorie de la confiance dans l’entreprise :
- si les employés sont soutenus dans la prise en main de leur propre espace de travail grâce aux 5S,
- s’ils sont constamment développés pour être plus autonomes dans la résolution de leurs problèmes,
- et si, enfin, tous les équipements fonctionnent et sont disponibles quand ils en ont besoin parce que la direction a mis en place des systèmes fiables et fonctionnels grâce à la TPM (Totale Productive Maintenance),
… alors les employés seront confiants qu’ils peuvent réussir à faire leur travail parce que la direction fait sa part. Ces activités créent la stabilité de base dont les équipes ont besoin pour travailler en toute confiance.
Je ne vous dirais pas que cela est simple, ni que c’est du bon sens (#misconception), ça n’ira certainement pas suffisamment vite à votre goût et vous apprendrez sans doute plus sur vous que sur vos managers, mais une alternative à ce que tout le monde déteste et qui nous fait déserter les entreprises pour trouver un sens, EXISTE ! Il faut se changer soi-même pour la voir et en profiter.
Pour conclure, je me souviens d’une conversation avec Chloé Bouvel, ancienne manager chez Toyota, aujourd’hui directrice chez Eurofins. Nous parlions du Respect au sens du Toyota Way (décrit dans une courte vidéo ici), cela nous invite à repenser notre perception du rôle du management :
“Soyez exigeant sur le processus et bienveillant avec les gens”
Etre exigeant sur le processus n’a pas de limite, mais quand les personnes devant vous n’ont pas bu au même biberon (#PotionToyota), elles reçoivent tous les messages comme des messages personnels. Chloé me partageait l’exemple du NPS (net promoter score) interne qui est souvent reçu comme un jugement personnel au lieu d’une source d’amélioration axée sur le processus. Ça vient de l’enfance ou de l’école, on veut avoir un bon score ! En tant que manager, le travail quotidien de Chloé est de faire en sorte que son équipe soit sincèrement heureuse d’avoir un retour qui donne de l’espace à l’amélioration. Le respect au sens de Toyota est se fixer des objectifs ambitieux. “Comment puis-je te respecter si je pense que tu ne peux pas améliorer les choses ?” Mais en attendant, il s’agit aussi de faire tous les efforts possibles pour se comprendre. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Toyota Way est une source d’inspiration sans fin, car elle s’intéresse aux gens d’abord.

(1) Nampachi Hayashi, Toyota Production System, the Roots of Lean, September 2018: ” Young ones these days don’t take initiatives? Must have the awareness that you are the one creating people that don’t take initiatives “.