Le mur du kaizen

La question du blog : Qu’est-ce qui donne envie aux gens de faire du kaizen ?

Un peu de contexte : Un patron, très engagé dans le lean, voudrait « embarquer » ses collaborateurs dans l’aventure, mais il fait face au pushback des équipes (ex. “pas le temps, ça marchera pas ici, on fera ça quand on aura le temps”…). Jacques nous explique comment déconstruire le mur du kaizen..

La réponse de Jacques

« Ton kaizen, c’est sympa, mais nous on a des clients à livrer ».

Au début de notre démarche Lean, je me suis souvent heurté à cette réponse sans appel : « mon » kaizen faisait rarement le poids face à « leurs » clients. L’entreprise est organisée autour de l’exécution. L’exigence de performance laisse peu de temps et de place à la recherche itérative de réponses incertaines.

Produire et Apprendre ne font pas bon ménage. Un mur les sépare. On peut essayer de le contourner : quand la performance n’est pas au rendez-vous, on désigne souvent un groupe de travail ou de projet pour étudier et proposer une action corrective. Mais cela prend du temps et les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des attentes. Il arrive aussi que -face à la complexité du problème- le groupe s’embourbe, tourne en rond et se transforme peu à peu en académie stérile d’experts sentencieux. On perd alors patience, on envoie un commando pour régler définitivement le problème. Face à l’urgence puissante du résultat immédiat, la possibilité du kaizen, de « l’apprentissage productif » s’éloigne, irrémédiablement !

Comment abattre ce mur ? Comment installer le temps et l’espace du kaizen pour produire et apprendre, délivrer et découvrir ? Il faut sans doute passer de l’injonction à la création des conditions.

Avant de lancer mon entreprise dans une démarche lean, nous avions – avec d’autres dirigeants- expérimenté le chemin de “l’entreprise apprenante” : une grande maison de Champagne avait ainsi challengé les capacités d’apprentissage de ses meilleurs cavistes solidement accrochés à leur statut ; une multinationale industrielle avait découvert que des savoir-faire essentiels à son produit leader allaient disparaître avec le départ en retraite de quelques opérateurs. Dans mon entreprise, nous avions choisi de nous attaquer aux irritants quotidiens de l’équipe d’assistance commerciale : « quels sont les problèmes les plus importants que vous rencontrez ? Réponse unanime : les avoirs aux clients, trop nombreux, longs et difficiles à traiter.

L’analyse de ces diverses expérimentations nous avait permis de dégager quatre conditions pour construire une « équipe apprenante », conditions qui nous ont aidés plus tard pour abattre peu à peu le « mur » du kaizen.

La première condition, c’est de s’approprier le problème : la question est posée, pas imposée. Si la question vient d’en haut, elle sera perçue – même si elle pertinente- comme un nouvel avatar du command & control, une nouvelle injonction : l’envie d’apprendre s’éteint quand on est « forcé » d’apprendre. Car on ne répond pas à une question qu’on ne s’est pas posée : l’envie d’apprendre naît quand l’équipe repère et s’approprie d’elle-même le problème à résoudre, se met d’accord sur l’amélioration à accomplir. Un problème qu’on ne voit pas n’existe pas : d’où l’importance des standards et du management visuel pour repérer les activités à améliorer, les challenges à relever.

La deuxième condition s’ouvre avec une alternative : l’équipe s’est approprié la question…mais qui va la résoudre ? Ici, deux voies sont possibles : la voie traditionnelle va confier la résolution du problème au groupe d’experts ou au commando-pompier évoqués plus haut ; dans le cas de la réduction des avoirs, les financiers et informaticiens auraient été désignés pour analyser la situation et mettre en place de nouveaux process. L’inconvénient de cette approche, c’est d’administrer une solution à des équipes cantonnées au seul périmètre d’exécution. Elles seront rétives à mettre en place cette solution « exogène » et, plus tard, peu motivées pour mettre à jour de nouveaux problèmes ou de nouveaux champs d’amélioration si cela débouche sur de nouveaux process imposés sans leur contribution ni leur avis.  

La voie du lean et de l’apprenance choisira de confier la résolution du problème à l’équipe elle-même. Notre équipe commerciale s’était vite rendu compte qu’elle ne pourrait pas trouver la réponse seule et décida de faire appel aux mêmes experts, informaticiens et financiers. Mais la relation cette fois était différente : les experts étaient à leur service, pas l’inverse. La question et la réponse appartiennent à l’équipe : ces deux premières conditions sont essentielles pour amorcer -sans imposer- le kaizen.

Amorcer, démarrer, c’est bien, encore faut-il que nous allions dans la bonne direction. C’est l’objet des deux dernières conditions que nos expérimentations avaient mises à jour.

Il faut d’abord assurer la cohérence interne : la tentation est grande pour un service, une équipe, de résoudre un problème pour soi-même, en oubliant le reste de l’entreprise, ce qui revient à « passer le mistigri » aux autres. Pour l’éviter, introduire dans l’équipe une personne extérieure au service peut être très utile : un candide, qui pose les questions naïves ou inattendues -mais indispensables- qui stimulent la découverte et interrogent l’impact de la solution trouvée sur les autres parties de l’entreprise. Un candide qui, au passage, enrichit et élargit son propre point de vue sur l’entreprise.

Il faut enfin assurer la cohérence externe : le client. Il est tentant de choisir un problème ou promouvoir une solution qui arrangent l’équipe et l’entreprise… aux dépens du client. Pour s’assurer que le kaizen va dans le sens du client, il peut être opportun d’introduire dans l’équipe un vrai client -ou une personne qui puisse l’incarner- pour challenger les participants. Ce challenge est essentiel : si le client est absent, le process reprend le dessus : standards, visualisation et autres outils lean ne servent plus qu’à renforcer la bureaucratie.

Regardez et « auditez » vos kaizens et projets en cours. Question et Réponse de l’équipe, Candide et Client : les quatre conditions sont-elles à l’œuvre ?

Jacques Chaize

Jacques Chaize

Membre de l’Institut Lean France, Jacques Chaize a été à la tête de l’entreprise SOCLA puis du groupe Danfoss Water Controls pendant près de trente ans. Co-fondateur de SOL France, il a également dirigé le Centre des Jeunes Dirigeants et l’APM.

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