On ne met pas la curiosité dans une to-do list

photography of person peeking

La question du blog : Qu’est-ce qui donne envie aux gens de faire du kaizen ?

Un peu de contexte : Un patron, très engagé dans le lean, voudrait « embarquer » ses collaborateurs dans l’aventure, mais il fait face au pushback des équipes (ex. « pas le temps, ça marchera pas ici, on fera ça quand on aura le temps »…). Régis nous explique pourquoi on ne met pas la curiosité dans une to-do list.

La réponse de Régis

Dans le fond, les dirigeants de la tech sont souvent de grands fans du kaizen : ils ont vécu cette période start-up où il fallait étudier les problèmes en profondeur, tester de nouvelles choses tous les jours, ajuster le tir et recommencer – si leur entreprise a survécu, c’est d’ailleurs certainement parce qu’ils ont démontré leur talent dans le domaine. Mais cette culture du “done” et de la vitesse, cette obsession de dépiler les tâches rapidement, devient l’un des principaux obstacles au kaizen dès que l’entreprise dépasse les quelques dizaines d’employés. Prendre quelques heures pour réfléchir ? Pas le temps ! 

Les premiers pas dans le lean se font sans surprise par le kanban et la résolution de problèmes – il faut continuer à aller vite. Mais passés les premiers résultats, la lassitude s’installe et certains commencent déjà à se plaindre du rythme effréné et du sentiment “d’être à l’usine”. Comment faire le virage vers le kaizen ? 

Tout d’abord, il y a les choses qu’il faut arrêter de faire. Nous sommes tous tombés dans le panneau : faire du kaizen pour améliorer les processus plutôt que pour creuser des points techniques, confondre la résolution de problèmes (revenir au standard) et le kaizen lui-même (trouver des idées créatives pour monter le niveau de jeu), rendre le kaizen obligatoire, abuser du jargon lean, demander aux équipes de faire du kaizen sans bloquer le temps nécessaire…

Ce qui rend le kaizen difficile à saisir, c’est qu’il repose sur la curiosité, l’envie d’explorer et d’apprendre – et on ne peut pas mettre la curiosité dans une to-do list. Il faut savoir susciter l’envie et la maintenir dans la durée.

Pour lancer la pratique du kaizen, il faut déjà commencer avec des volontaires, et prêter un soin particulier au sujet que l’on traite. Les bons sujets de départ sont des sujets de pénibilité : quelles sont les tâches fastidieuses ou difficiles que l’on pourrait attaquer en premier ? Il faut 2 heures chaque semaine pour sortir une liste de leads ? Comment pourrions-nous diviser ce temps par 2 ? Par 4 ? Par 10 ?

Il y a ensuite les sujets de qualité. Je me souviens d’une équipe de support client passionnée par son travail sur le “flip” : pour une demande envoyée par un client manifestement furieux, comment apporter une telle valeur que le client devient instantanément ambassadeur ? Derrière les sujets de qualité, il y a souvent l’excellence technique, la recherche de perfection du geste : réduire le temps de traitement d’un logiciel, améliorer la performance d’une campagne marketing.

Maintenir l’énergie, c’est aussi une question d’animation. C’est le rôle du team leader – et son sujet de développement personnel – de s’assurer que tout le monde est entendu, que les idées sont écoutées et prises en considération. Les idées originales sont fragiles, il faut savoir leur faire une place et leur offrir une chance de faire leurs preuves. Les team leaders ont besoin d’un lean officer qui leur montre le geste, ils ont aussi besoin des visites du dirigeant qui vient les écouter et les encourager.

Est-ce que cela fonctionnera avec tout le monde ? Certainement pas. Le lean a pour effet de polariser les gens – on voit immédiatement qui est prêt à jouer le jeu et qui fait semblant. Tout l’enjeu, c’est de soutenir dans la durée ceux qui en ont envie, ceux qui prennent le temps d’explorer et de tester. Il s’agit d’aller voir ceux qui en font, soutenir ceux qui veulent essayer, et les mettre en avant pour les aider à porter et développer la culture du kaizen à travers toute l’entreprise.

Régis Medina

Régis Medina

Membre de l’Institut Lean France et entrepreneur. Régis anime l’Académie Lean pour les scale-ups, dont vous pouvez consulter le programme sur le site de l'Institut Lean France.

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