On n’achète JAMAIS une solution clef en main !

black apple with slice cut out

La question du blog

La performance par l’augmentation du capital ou la performance par la flexibilité du capital : sur quoi les dirigeants doivent-ils changer d’avis au sujet du « true potential » ?

Lors d’un gemba, un dirigeant m’explique qu’il vient de faire l’acquisition d’une nouvelle machine. Il doit faire de la place pour l’accueillir. Elle fait 20 mètres de long. Il l’a obtenu grâce à l’aide de l’Etat, un de ces fameux programme de modernisation de l’industrie pour aider les PME à passer au 4.0. Aujourd’hui boostée par les nouvelles réglementations en matière énergétique, l’entreprise croît de manière exceptionnelle, cependant le dirigeant prévoit un ralentissement des ventes d’ici 2 ans. Il pari sur cette croissance pour maximiser le rendement de son nouveau bolide. Que fera-t-il quand la demande baissera ? Il ne sait pas…

La réponse de Jean Claude

Vaste question. Mais je ne pense pas que ce soit une question simple ni une simple question. Elle est de toute manière très générale. Tout d’abord, au sujet de la performance, il faut définir ce que cela signifie et surtout sur combien de temps.

Je vois presque toujours des grandes théories, souvent pertinentes au moment où on les énonce mais qui sont décorrélées du temps. Or dans le métier de l’industrie, le temps est important, bien plus que dans celui du digital par exemple. Etre très performant durant un an n’est pas pareil qu’être moyennement performant durant 10 ans. Nous sommes dans un monde de l’immédiateté du raisonnement alors que le capital investi nous suit durant des années.

Souvent, augmenter la performance signifie une recherche de croissance.

Nous avons dépassé le stade où la croissance était un but en soi. Il n’y a plus que les drogués du digital qui pensent (la réalité du moment leur donne malheureusement encore raison) que le marché de la donnée est le moyen idéal pour faire consommer plus.

Je pense qu’il faut avoir une bonne raison de croitre et la croissance ne peut se traduire qu’au détriment de mauvais produits polluants ou énergivores qui doivent disparaitre. Cela signifie souvent des modifications radicales dans la vision des choses et aussi dans l’approche manufacturière. C’est à ce stade que le concept du true potential est important. Je rappelle qu’en lean, on ne cherche pas à faire plus avec le même équipement, on cherche à faire le standard avec moins de moyens. Ce n’est pas la même approche et l’approche lean est bien plus green que l’autre.

A partir du moment où l’on a une bonne raison de croitre et d’améliorer sa performance, la première question que tout entrepreneur se pose est « make or buy » ? Dans le cas où la réponse est « make », la seconde question est qu’investit-on pour le faire ?

Et dans tous les cas comment s’organise-t-on pour le faire ?

Chaque cas étant différent, il est impossible de répondre de manière générale. C’est différent si on vend de la technologie ou de la tradition, de l’agro-alimentaire ou du bâtiment. Des produits certifiés ou pas.

Mais ce qui est clair, limpide, c’est que dans tous les cas il faut savoir ce que l’on fait au point de vue de la technique.

C’est à partir de là que l’on va pouvoir améliorer les process existants ou bien passer sur d’autres modes de fabrication plus modernes et plus efficaces.

J’aime bien cette ancienne publicité. Dans ce contexte, les concurrents français de l’époque (Pathé Marconi, Radiola, Brandt, Continental edison, Thomson etc…) commençaient à rebadger des produits japonais. On connait tous la suite.

C’est le métier du patron de comprendre la notion de performance et de la traduire pour les marchés de son entreprise et de l’adapter à sa stratégie d’évolution.

Si on voit les choses sur le long terme, (plus de 5 ans), une chose que j’ai apprise est qu’il ne faut pas investir dans des solutions toutes prêtes, totalement dédiées et conçues en dehors de l’entreprise. En faisant cela, vous n’êtes plus une entreprise souveraine et indépendante, vous devenez l’esclave du fabriquant de machine et vous n’apprenez jamais. C’est aussi la meilleure manière pour que votre client connaisse tous vos coûts. Le kaizen est impossible et vous ne pourrez plus améliorer la performance au cours du temps. L’équipement dédié est un concept figé. Et le pire est qu’on va ensuite tordre le bras aux nouveaux produits pour les passer dessus.

Toutes les solutions techniques doivent venir de votre entreprise. Si vous ne savez pas faire, embaucher ceux qui savent mais on n’achète JAMAIS une solution clef en main.

Une autre chose que j’ai apprise est qu’on ne confie JAMAIS l’achat des équipements techniques à un acheteur ou à un financier (le reste non plus d’ailleurs) mais toujours à ceux qui vont s’en servir aujourd’hui et ceux qui vont concevoir le nouveau produit demain. On ne négocie pas à la baisse ce qui va faire notre futur. Qui négocie le prix de sa chimiothérapie ?

Quand on travaille dans la haute technologie, les équipements deviennent vite obsolètes, quand on travaille dans l’industrie lourde c’est moins le cas mais aujourd’hui les progrès sur les consommations d’énergie peuvent faire reconsidérer certains choix. Et parfois une bonne vieille machine fait le job. Tout dépend. De vous. Et de votre connaissance de l’interface entre le produit et le process. Quand cela est clair, les choix le sont aussi.

Celui qui détient le capital doit savoir au détail près ce qu’il peut attendre de ses investissements et comment il peut les redistribuer en fonction des taux de charge et des nouveaux produits qui arrivent dans l’usine.

Et puis, pour finir, je voudrais appuyer fort là où cela fait vraiment mal et c’est la maintenance. On néglige souvent cette spécialité qui fait à mon sens la différence entre les entreprises qui performent et celles qui végètent. Là encore tout est une question de temps. La différence entre les entreprises performantes et les autres ne se voit pas la première année. Elle se voit sur le long terme. C’est en ayant une maintenance de haut niveau que l’on comprend mieux ses process, qu’on peut les affiner, qu’on peut améliorer sa qualité, qu’on peut mieux spécifier le prochain équipement et qu’on peut surtout l’exploiter plus longtemps.

J’ai cru entendre que certaines sociétés sous-traitaient leur maintenance. C’est aussi idiot que de sous-traiter les plaintes clients. Ce sont les deux endroits où on apprend.

Le true potential va donc dépendre de beaucoup de facteurs mais si je devais résumer, je mettrais le temps et la connaissance technique comme variables incontournables.

Jean Claude Bihr

Jean-Claude Bihr

Membre de l’Institut Lean France et PDG de l’entreprise industrielle Alliance MIM. Auteur du livre «Le Lean aujourd'hui».

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