Investir ou Apprendre ?

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La question du blog

La performance par l’augmentation du capital ou la performance par la flexibilité du capital : sur quoi les dirigeants doivent-ils changer d’avis au sujet du « true potential » ?

Lors d’un gemba, un dirigeant m’explique qu’il vient de faire l’acquisition d’une nouvelle machine. Il doit faire de la place pour l’accueillir. Elle fait 20 mètres de long. Il l’a obtenu grâce à l’aide de l’Etat, un de ces fameux programme de modernisation de l’industrie pour aider les PME à passer au 4.0. Aujourd’hui boostée par les nouvelles réglementations en matière énergétique, l’entreprise croît de manière exceptionnelle, cependant le dirigeant prévoit un ralentissement des ventes d’ici 2 ans. Il pari sur cette croissance pour maximiser le rendement de son nouveau bolide. Que fera-t-il quand la demande baissera ? Il ne sait pas…

La réponse de Jacques

Disposer d’une capacité fiable et rentable pour satisfaire ses clients, développer la flexibilité et l’agilité pour accompagner durablement la diversité et l’évolution de leurs attentes, c’est le double défi de performance que toute entreprise doit relever. Savoir investir, décider au bon moment, trouver le bon dosage entre capacité et flexibilité, rentabilité et risque – et depuis peu, hausse des taux d’intérêt – reste un exercice difficile : c’est le domaine réservé des dirigeants et de leur conseil d’administration. Revisiter ce « domaine réservé » avec un regard Lean peut être utile, au risque de surprendre ceux qui associent et cantonnent le Lean au seul périmètre opérationnel.

Pourtant, les dirigeants Lean de longue date en attestent : l’efficacité du Lean ne se lit pas seulement dans leur résultat d’exploitation avec la réduction drastique des gaspillages et autres idées fausses, il a aussi un impact décisif au bilan, d’abord en allégeant les besoins en fonds de roulement et surtout en investissant moins et mieux que leurs concurrents. Toyota en apporte la preuve depuis longtemps : quand les autres constructeurs devaient investir dans une ligne d’assemblage dédiée à chaque nouveau modèle, Toyota se contentait d’ajouter le nouveau modèle à ses lignes existantes déjà polyvalentes. Aujourd’hui encore, l’emprise au sol de ses usines est près de deux fois plus faible que celle de ses concurrents.

Comment expliquer cette différence ?

La réponse est simple : les concurrents traditionnels investissent davantage car ils ne savent pas faire autrement. Investir, c’est souvent acheter une compétence qui nous fait défaut, un savoir-faire qu’on n’a pas développé. Autrement dit, les dirigeants Lean investissent moins car -avec leurs équipes- ils ont appris à faire autrement en utilisant les deux piliers du TPS pour développer capacité et flexibilité. Le Lean est un système d’apprentissage.

Développer la Capacité : c’est le premier pilier, avec la fiabilité par la maîtrise de la qualité et la productivité du « bon du premier coup » qui permettent d’utiliser à plein les capacités existantes, de les préserver voire d’en repousser les limites. Augmenter la Flexibilité : c’est le pilier du « juste à temps », l’utilisation flexible et synchronisée des ressources juste nécessaires au flux continu de l’action.

Capacité et flexibilité se combinent d’ailleurs dans un des indicateurs de performance favoris des investisseurs et des conseils d’administration : le ROCE, ratio de rentabilité des capitaux employés, autrement dit le rapport entre le résultat opérationnel et l’actif économique mobilisé pour le produire (1).

Il est d’usage de décomposer ce ratio en deux éléments :

  • le résultat opérationnel sur chiffre d’affaires
  • le montant des capitaux employés pour réaliser ce chiffre d’affaires

C’est la combinaison de ces deux ratios qui mesure la rentabilité des capitaux engagés : le produit du résultat opérationnel et de la rotation de l’actif économique. Dans une démarche traditionnelle, la réduction des coûts est souvent le levier d’action principal pour augmenter le résultat opérationnel, tandis que l’arrêt brutal des investissements permet de dégager de la trésorerie et d’améliorer en façade la rotation des capitaux utilisés. Dans une démarche Lean, augmenter la rentabilité opérationnelle par la qualité est un levier familier et créer plus de valeur avec un minimum de capitaux est le défi quotidien des praticiens du flux tiré. Savoir « jouer » sur ces deux registres, c’est ce qu’il nécessaire d’apprendre avant d’investir… moins et mieux !

Jacques Chaize


(1) ROCE = Return On Capital Employed. L’actif économique se compose de l’actif net auquel on ajoute le besoin en fond de roulement nécessaire. On peut aussi mesurer les capitaux employés en additionnant fonds propres et dettes.

Jacques Chaize

Membre de l’Institut Lean France, Jacques Chaize a été à la tête de l’entreprise SOCLA puis du groupe Danfoss Water Controls pendant près de trente ans. Co-fondateur de SOL France, il a également dirigé le Centre des Jeunes Dirigeants et l’APM.

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