Investissement : une excuse pour ne pas faire l’effort d’apprendre ?

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La question du blog

La performance par l’augmentation du capital ou la performance par la flexibilité du capital : sur quoi les dirigeants doivent-ils changer d’avis au sujet du « true potential » ?

Lors d’un gemba, un dirigeant m’explique qu’il vient de faire l’acquisition d’une nouvelle machine. Il doit faire de la place pour l’accueillir. Elle fait 20 mètres de long. Il l’a obtenu grâce à l’aide de l’Etat, un de ces fameux programme de modernisation de l’industrie pour aider les PME à passer au 4.0. Aujourd’hui boostée par les nouvelles réglementations en matière énergétique, l’entreprise croît de manière exceptionnelle, cependant le dirigeant prévoit un ralentissement des ventes d’ici 2 ans. Il pari sur cette croissance pour maximiser le rendement de son nouveau bolide. Que fera-t-il quand la demande baissera ? Il ne sait pas…

La réponse de Catherine

Art Byrne, auteur du Virage Lean, démontre dans un post récent comment améliorer ses résultats en s’intéressant de plus près aux postes du bilan. Tous les managers comprennent les concepts de chiffre d’affaires, de coûts et de résultats, mais il est plus rare d’en rencontrer qui soient à l’aise sur la lecture et l’interprétation d’un bilan. Art Byrne vous explique notamment l’intérêt de maîtriser ses stocks et de comprendre ses créances clients.

Le bilan comporte aussi un poste très intéressant à exploiter : les immobilisations. Un des secrets les moins compris du lean est de maîtriser ses investissements pour réduire ses coûts.

Si on y regarde de plus près, la prise de décision sur un investissement s’appuie souvent sur des idées fausses ou des omissions patentes :

  • L’investissement lié à un projet de lancement de nouveau service ou produit est justifié par des hypothèses de ventes le plus souvent erronées. Et ce d’autant plus que le lead time de la mise en oeuvre exige que la décision soit prise très en amont.
  • On se pose parfois la question de la scalabilité de l’investissement (est-ce qu’on pourra suivre si on vend plus ?) mais rarement celle de la flexibilité (quid si on vend moins que prévu ?).
  • Le document supportant la prise de décision est souvent un plaidoyer pro-domo pour la nouvelle machine ou le nouveau système, dont on attend tout. On ne se pose que très rarement, et très mal, la question du recours à des machines, systèmes ou locaux existants. La lente montée en volume du démarrage et la décroissance en fin de vie sont d’ailleurs rarement prises en compte. Ces phases rendent pourtant l’investissement conçu pour un seul produit très cher en regard du volume vendu. 
  • Dans le même ordre d’idée, on pense à tort, bien souvent, que le neuf est toujours mieux que l’ancien (plus sophistiqué, performant, fiable…). Pourtant une machine bien maîtrisée (ou un ERP bien compris) dont on comprend chaque rouage, chaque finesse, vaut parfois mieux qu’un saut dans l’inconnu. Le sur-sophistiqué est fragile, l’excès de dépendance au savoir-faire du fournisseur est dangereux en termes de qualité et de maîtrise des coûts, et les solutions sur catalogue sont rarement adaptées à notre contexte, nous poussant à des lots surdimensionnés.
  • La question « qu’est-ce qu’il faut qu’on apprenne à faire pour maîtriser cette nouvelle technologie ? » est d’ailleurs rarement posée.
  • A contrario, certains modules ou techniques perçus comme des savoir-faire anciens et propres à l’entreprise sont reconduits d’un investissement à l’autre alors qu’ils peuvent s’avérer des boulets technologiques.

Ces idées fausses vont avoir un impact considérable sur les résultats de l’entreprise. Par le biais des dotations aux amortissements, d’une part (plus l’investissement est cher, plus son amortissement réduit le résultat). Mais aussi du fait du TCO (Total Cost of Ownership) du produit ou du service, qui se vendra avec moins de marge que prévu : coûts d’installation et de mise au point, coûts de non- qualité, remises octroyées aux clients mécontents, recours excessif aux services du fournisseur de la solution, pannes, transports en urgence pour compenser…

Cet impact a posteriori est malheureusement rarement mesuré, comme si l’investissement ne pouvait être que bon, dès lors que la décision en a été prise. Le groupe décisionnaire n’apprend pas et ne revient pas sur ses idées fausses.

L’approche lean est plus pragmatique : il ne s’agit pas tant de se torturer les méninges à chaque décision d’investissement que de prendre en compte les problèmes type cités ci-dessus avec un modèle mental bien établi. Un investissement lean doit permettre :

  • Une flexibilité en volume : lisez l’extraordinaire article écrit par Bertel Schmitt en 2019, sur la façon dont Toyota conçoit ses lignes de production pour qu’elles puissent être allongées ou raccourcies en fonction de la demande en un weekend. La flexibilité en volume exige également de vérifier que la ligne reste iso-productive, quel que soit le volume. Un exemple tiré d’un cas réel : une ligne de production peut fabriquer jusqu’à 3000 pièces par heure avec 10 personnes. Sa productivité est dans ce cas de 300 pièces par personne par heure. Mais elle doit être reconfigurée quand on dépasse la cadence de 3000 pièces et elle requiert alors 20 personnes. Pour 3100 pièces, la productivité de la ligne tombe à 155. Elle n’est pas iso-productive.
  • Une flexibilité en mix produits : le cas de base n’est pas de construire une nouvelle ligne de production dédiée, mais de voir si on peut intégrer le nouveau produit sur une ligne existante, au moins dans sa phase de montée en puissance. Tous les investissements sont donc regardés au prisme de leur flexibilité en mix produits : combien de produits différents pouvons-nous fabriquer sur cette ligne ? Allons-nous pouvoir réduire nos tailles de lots ? Comment allons-nous gérer de fréquents changements de produits ? Et tendre vers le flux continu ? Jetez un œil sur ces vidéos pour en savoir plus sur la flexibilité des moyens de production ou sur la cartographie des flux de valeurs, qui vous aideront à mieux comprendre les outils sous-jacents.
  • Une maîtrise humaine des machines et systèmes pour garder la main sur l’amélioration continue : un investissement, que ce soit dans une machine, un ERP ou de l’IA, n’a de sens que si l’on comprend et maîtrise ce que l’on fait. Il faut aimer sa machine, l’entretenir, la rendre autonome et l’améliorer en continu. Il faut s’intéresser aux flux de données, à leur qualité et à leur transformation (où, quand, comment). L’investissement est trop souvent une excuse pour ne pas faire l’effort d’apprendre. Or l’investissement sans maîtrise technique est une source inépuisable de coûts.

Cette grille de décision vous sera très utile lors de votre prochain investissement !

Catherine Chabiron

Catherine Chabiron

Spécialiste du Lean dans les services, Catherine Chabiron a été Directeur Lean Office chez Faurecia pendant onze ans. Elle publie régulièrement les récits de ses gemba walks en entreprise sur Planet Lean. La compilation de ces récits est disponible dans le livre Lean en France.

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