Productivité du capital et conscience des coûts

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La question du blog

La performance par l’augmentation du capital ou la performance par la flexibilité du capital : sur quoi les dirigeants doivent-ils changer d’avis au sujet du « true potential » ? Une question de productivité du capital et conscience des coûts.

Lors d’un gemba, un dirigeant m’explique qu’il vient de faire l’acquisition d’une nouvelle machine. Il doit faire de la place pour l’accueillir. Elle fait 20 mètres de long. Il l’a obtenu grâce à l’aide de l’Etat, un de ces fameux programme de modernisation de l’industrie pour aider les PME à passer au 4.0. Aujourd’hui boostée par les nouvelles réglementations en matière énergétique, l’entreprise croît de manière exceptionnelle, cependant le dirigeant prévoit un ralentissement des ventes d’ici 2 ans. Il parie sur cette croissance pour maximiser le rendement de son nouveau bolide. Que fera-t-il quand la demande baissera ? Il ne sait pas…

La réponse de Julie

Il n’est pas rare d’entendre dire « On a besoin de plus de personnel, de plus de postes de travail, d’un nouveau convoyeur, de plus de place… ». Pourtant une fois sur le gemba, il est souvent évident que la situation actuelle n’est pas idéale. Un exercice très révélateur consiste à visualiser le « true potential » comme par exemple en libérant notre imagination : « Et si on collait tous les postes et machines les unes aux autres, ça nous fait gagner combien de m2 ?, Et si on savait changer le moule en moins de 5 minutes, quel impact ça aurait sur nos stocks ?, Que se passerait-il si on savait mieux collaborer avec nos fournisseurs ?, … ».

Bien sûr il faut du personnel qualifié, des machines adaptées, des process fiables et un outil de production calibré pour répondre à la demande, mais je pense qu’il faut réfléchir à deux fois avant d’aller « trop facilement » vers une solution extérieure. Premièrement, parce qu’on est pas sûr d’avoir bien compris le problème avant d’être allé à la solution qui nous arrangeait. Deuxièmement, parce que l’achat de solutions extérieures sans avoir fait du kaizen sur l’existant tue dans l’oeuf toute tentative de développement du capital humain. Et enfin, troisièmement, parce qu’on est pas du tout sûr que la solution couteuse va marcher (souvent décevante !).

Dans le contexte actuel (écologique et économique), il est pertinent de se demander comment mieux utiliser le capital existant avant d’acheter de la capacité supplémentaire. A l’époque où ils se sont lancés dans le business automobile, Toyota n’avait pas d’argent à investir dans de nouvelles machines couteuses, ils devaient donc apprendre à améliorer la productivité des ressources existantes, autrement dit à accroitre la part de valeur ajoutée dans le travail. Non pas en serrant les fournisseurs, en surchargeant les collaborateurs ou en dégradant la qualité, mais en créant les conditions dans lesquelles chaque personne pourra mettre sa créativité et ses suggestions au service d’une meilleure utilisation des machines, de l’optimisation des espaces et de l’élimination de toute forme de gaspillages. 

C’est ce que les sensei de Toyota appellent le Genka Teigen (littéralement : la réduction des coûts). Nampachi Hayashi, un des dernier protégé de Taïcho Ohno, rappelle que le TPS n’est pas une méthode d’amélioration née sur le gemba ou dans l’usine, mais un mécanisme qui vise le Genka Teigen dont la finalité est de développer le capital humain. Une des phrase qui m’a le plus marqué de Taïchi Ohno était « Implant awareness before providing knowledge », l’enjeu était de fabriquer moins cher et pour cela il était essentiel de développer chez chaque collaborateur une conscience des coûts notamment à travers l’identification des gaspillages et des pertes de productivité. C’est l’objet même du TPS à travers ses deux piliers : 

  • le genka teigen par le Jidoka pour apprendre à construire la qualité à chaque étape du processus, à s’arrêter quand un défaut apparaît ou quand le travail est terminé 
  • le genka teigen par le Juste à temps pour apprendre à réduire le temps écoulé entre l’investissement du capital et le moment où le client paye, généralement à la livraison (= le lead time)

La voie ouverte par Toyota apporte le « sense making » dont nous avons tant besoin aujourd’hui, mais elle requiert de la pratiquer avec rigueur ainsi que la volonté de changer d’avis sur deux aspects : 1) Avoir la conviction que la seule chose que nous devrions laisser derrière nous est le capital humain, c’est ce qu’il faut impérativement développer pour progresser collectivement, et 2) Comprendre que la recherche de solutions extérieures ne fait que contourner le problème et ne nous rend pas plus capables, il faut donc chercher des manières de nous rendre capables. Et le TPS est conçu pour cela.

Julie Chevalier

Julie Chevalier

Membre de l'Institut Lean France

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