Le lead time pour une meilleure utilisation du capital

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La question du blog

La performance par l’augmentation du capital ou la performance par la flexibilité du capital : sur quoi les dirigeants doivent-ils changer d’avis au sujet du « true potential » ? Une question de lead time pour une meilleure utilisation du capital.

Lors d’un gemba, un dirigeant m’explique qu’il vient de faire l’acquisition d’une nouvelle machine. Il doit faire de la place pour l’accueillir. Elle fait 20 mètres de long. Il l’a obtenu grâce à l’aide de l’Etat, un de ces fameux programme de modernisation de l’industrie pour aider les PME à passer au 4.0. Aujourd’hui boostée par les nouvelles réglementations en matière énergétique, l’entreprise croît de manière exceptionnelle, cependant le dirigeant prévoit un ralentissement des ventes d’ici 2 ans. Il pari sur cette croissance pour maximiser le rendement de son nouveau bolide. Que fera-t-il quand la demande baissera ? Il ne sait pas…

La réponse de Michael

Quand on faisait encore du lean pour de vrai, la règle était qu’on ne pouvait acheter une nouvelle machine qu’après avoir obtenu 10% de productivité de plus des machines existantes. L’idée n’était pas de tirer toujours plus de moins, mais de comprendre les problèmes qui réduisent le TRS et la flexibilité de la machine.

Les machines sont essentielles à la production. Clairement, c’est idiot et pas sympa de demander à un être humain de faire ce qu’une machine pourrait faire. Mais les machines sont le plus souvent conçues pour leur rapidité : produire le plus de pièces en le moins de temps. Je me souviens de visiter de gigantesques centres de La Poste avec, au centre une énorme machine et autour… tout est immobile. Jusqu’à 2 heures du matin, lorsque la machine est réveillée, alors elle trie et elle trie et les gens s’affairent pour la nourrir et absorber ce qu’elle recrache. Puis au bout d’une heure, on la laisse se rendormir pour une nouvelle journée. Si on compte le coût par lettre lorsque la machine tourne, le ROI est évident. Par contre si on regarde l’utilisation de la machine sur 24 heures – il est désastreux.

Il est facile de se polariser sur les coûts directs, ceux qu’on peut compter – ou plutôt ceux que la compta sait allouer avec confiance. Mais la clé du succès moyen terme d’une entreprise est dans son utilisation du capital. Les coûts fixes sont bien évidemment difficiles à ventiler, et donc les retours sur investissements toujours plus ou moins fantaisistes. L’astuce de Toyota est de regarder le lead-time pour évaluer son utilisation du capital : le temps entre le moment où une pièce est commandée et celui où elle sort produite (la pièce unique, pas une pièce similaire sortie du stock de produits finis).

Pour minimiser le lead-time, il faudrait évidemment passer tout de suite chaque pièce en commande dans une succession de petites machines dédiées à un flux de valeur. Si c’est impossible, et qu’il faut se servir d’une même machine pour plusieurs références, alors la taille de lot a un impact déterminant sur le lead-time. Plus les lots sont petits et fréquents, plus le lead-time est court. La solution de sous-traitance (qui peut paraître avantageuse en prix pièce) est clairement la pire car elle rajoute des jours de stockage, transports et file d’attente de production au lead-time.

Mais qu’en est-il de la grosse machine très productive. Soit celle-ci est dédiée à une référence et alors elle n’impacte pas le lead-time tant qu’on s’en sert au takt time (le rythme de consommation du client).  Pas nécessairement terrible du point de vue du ROI mais après tout pourquoi pas – cela dépend du mode de financement. 

En revanche, il arrive souvent que les grosses machines soient ce qu’on appelle en lean des monuments – des machines par lesquelles passent de nombreux flux de valeur. Dans ce cas, il est tentant de faire vite des gros lots, souvent de plusieurs jours de consommation, pour s’assurer d’avoir des stocks de tout quand il faut où il faut. Cette stratégie paraît gagnante mais en réel on crée juste du stock – on a de tout sauf ce dont on a besoin. Et si une pièce s’avère défectueuse, impossible d’aller retrouver la cause. Une telle machine devient un casse tête permanent qui allonge les lead-times et à moins de faire un SMED permanent et agressif, elle pose des problèmes sans arrêt. Le plus souvent on se retrouve avec le pire des deux mondes, une machine dont on se sert très infréquemment en faisant des gros lots qui stagnent en stock et n’aident personne.

La question est donc bien une question de vision industrielle: 1/ souplesse, sait-on faire varier le volume de production en fonction de la demande et 2/ flexibilité, sait-on faire plusieurs références en petits lots sur le même équipement. Au Japon, on voit surtout des ingénieurs s’évertuer à faire de petites machines qui vont moins vites mais qui peuvent se mettre en séquence pour faire un produit à la fois, au rythme de la demande client.

Ces discussions sont souvent vues comme des débats d’experts de la production mais en fait il s’agit bien d’une vision patronale : quelle vision du rendement du capital pour la pérennité de l’entreprise ? Avant de se poser des questions d’acheter ou pas telle ou telle machine, peut-être faudrait-il clarifier la théorie de l’utilisation du capital et comparer la vision comptable du ROI avec celle lean des lead-times ?

Michael Ballé

Michael Ballé

Cofondateur de l’Institut Lean France et du Projet Lean Entreprise, Michael Ballé est un spécialiste de la transformation Lean. Docteur en sciences sociales, il anime la chronique Gemba Coach sur le site du Lean Enterprise Institute américain. Conférencier de renommée internationale, il est l’auteur plusieurs ouvrages de référence sur le management Lean.

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