Le juste-à-temps, un acteur essentiel des progrès écologiques

crop black man standing behind green plant leaves in forest

La question du blog

Toyota ne cache pas son engagement pour la planète et est même très en avance sur les aspects de la neutralité carbone. Comment expliquer que le Juste-à-temps et l’augmentation des fréquences de prélèvement vont dans ce sens ? Il suffit de comprendre le juste-à-temps, un acteur essentiel des progrès écologiques.

Le Juste-à-temps a peu de sens si nous n’augmentons pas la fréquence de prélèvement des pièces de toute la chaine logistique. A l’image du laitier qui passe tous les matins distribuer du lait frais dans les chaumières, le modèle Toyota pratique le ‘milk run’ avec ses fournisseurs : plutôt que d’avoir un camion de références A le mardi, un camion de références B le mercredi et un camion de références C le jeudi, Toyota vient prélever toutes les références plusieurs fois par jour chez ses fournisseurs : « 15 camions par jour. 12 camions par jour. 50 camions par jour. Chacun des fournisseurs est visité plusieurs fois par jour par un camion qui prélève de toutes les pièces à chaque passage. » 

La réponse de Jacques

Contenant et contenu

Pour répondre à la question de Julie concernant l’impact écologique de la tournée du laitier, je voudrais d’abord élargir la focale.

Le juste à temps idéal, c’est en effet un flux sans arrêt qui s’adapte au tempo et à la diversité de la demande des clients. Chez Aramisauto, c’est la voiture promise qui arrive directement en agence à l’heure du client sans passer par la case parking (lire Raize the bar: Zero to 1 billion) ; dans la boulangerie Lean, c’est le croissant qui quitte le four pour rejoindre directement le café au comptoir (lire La boulangerie Lean) ; c’est le composant Toyota qui va du sous-traitant à la chaîne de montage- via la tournée du laitier- sans passer par la case stock.

Ce flux permanent du « contenu » (voiture, croissant, composant) est un atout décisif pour la satisfaction des clients ; c’est aussi -pour l’entreprise- un progrès économique et écologique majeur en réduisant les gaspillages, rebuts, retouches et stocks inutiles que le juste à temps met à jour, impitoyablement.

Mais, derrière ce premier bilan environnemental favorable du « contenu » le juste à temps offre un second levier d’impact sans doute bien plus puissant : l’économie de « contenant ».

En effet, ce flux, tiré en continu par le client, prend peu de place, juste l’espace, le volume et l’énergie de son propre écoulement. Le contenant est modeste (boîte réutilisée, karakuri, « petit train », camion) : c’est un tuyau, ni trop petit, ni trop grand, sans coude ni bifurcation. Il n’est plus besoin de vastes parkings, d’usines surdimensionnées ou d’entrepôts à perte de vue, attributs classiques que génèrent les prévisions incertaines, les attentes et les hésitations du flux poussé.

L’impact écologique -et économique- est spectaculaire : grâce au juste à temps, les espaces sont souvent réduits de moitié, les volumes des deux tiers. Les usines Toyota affichent ainsi une empreinte carbone très inférieure à leur concurrence. Je me souviens aussi de cette entreprise que nous avions rachetée et qui a pu, grâce aux kanbans et tournées du laitier, doubler son chiffre d’affaires dans les mêmes locaux, pourtant réputés trop petits au moment du rachat (lire La Stratégie Lean).

Resserrons la focale.

La tournée du laitier, en alimentant la dynamique du juste à temps, est un acteur essentiel des progrès écologiques en contenu (le produit) comme en contenant (les moyens).

Ralentir la fréquence de prélèvements à contre-temps du rythme de la demande ou réduire la diversité de l’offre risque de dégrader la satisfaction des clients envers le produit ou le service mais va aussi provoquer l’augmentation des volumes de livraison, des stocks en attente d’utilisation et, plus tard, de lourdes décisions d’investissements en espace et volume.

Le gain environnemental visé dans le périmètre de la tournée se transformera vite en perte massive au niveau de l’entreprise.

En revanche, savoir adapter le tempo et la diversité au plus près de la vraie demande client, réduire les distances entre fournisseur et chaîne de montage, ajuster contenant et contenu (taille et remplissage des camions, mode de chargement/déchargement), utiliser des énergies renouvelables pour le transport et la manutention, sont autant d’améliorations qui s’additionnent sans mettre en danger les acquis et progrès écologiques obtenus sur les produits et les moyens.

La tournée du laitier, comme les kanbans, kaizen et autres pratiques Lean ne sont pas de simples outils à optimiser dans le couloir étroit d’un process. Ce sont de puissants leviers systémiques. Élargir la focale permet de prendre la mesure de leurs multiples impacts. La resserrer permet de les orienter et de les mettre en œuvre au plus près de la satisfaction des clients et des défis sociétaux et environnementaux.

Jacques Chaize

Jacques Chaize

Membre de l’Institut Lean France, Jacques Chaize a été à la tête de l’entreprise SOCLA puis du groupe Danfoss Water Controls pendant près de trente ans. Co-fondateur de SOL France, il a également dirigé le Centre des Jeunes Dirigeants et l’APM.

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