Des camions à l’heure et bien remplis !

aerial photography of trucks parked

La question du blog

Toyota ne cache pas son engagement pour la planète et est même très en avance sur les aspects de la neutralité carbone. Comment expliquer que le Juste-à-temps et l’augmentation des fréquences de prélèvement vont dans ce sens ? C’est une question de camions à l’heure et bien remplis !

Le Juste-à-temps a peu de sens si nous n’augmentons pas la fréquence de prélèvement des pièces de toute la chaine logistique. A l’image du laitier qui passe tous les matins distribuer du lait frais dans les chaumières, le modèle Toyota pratique le ‘milk run’ avec ses fournisseurs : plutôt que d’avoir un camion de références A le mardi, un camion de références B le mercredi et un camion de références C le jeudi, Toyota vient prélever toutes les références plusieurs fois par jour chez ses fournisseurs : « 15 camions par jour. 12 camions par jour. 50 camions par jour. Chacun des fournisseurs est visité plusieurs fois par jour par un camion qui prélève de toutes les pièces à chaque passage. » 

La réponse de Michael

Les camions ! Au début de notre exploration du lean nous entendions les sensei de Toyota nous parler sans cesse des camions sans comprendre. Ils insistaient encore et encore sur l’importance des camions : sont-ils à l’heure ? Sont-ils bien remplis ? Quels sont les problèmes de mura, muri et muda dans la gestion des transports ?

Vers la fin des années quatre-vingt-dix dans des usines de pièces automobiles nous avons commencé à nous intéresser aux camions vers les clients, en mettant des tableaux de suivi des départs camions, des horaires de fin de préparation des contenus des camions et ainsi de suite. Dans la plupart des cas, le transporteur était un prestataire auquel le client ne s’intéressait absolument pas, les pièces allaient droit dans un stock, tout ceci paraissait absurde. Et pourtant les situations s’amélioraient. Apaisement des relations clients, plus grande discipline en interne, meilleure productivité. Ça n’avait tellement pas de sens que cela semblait magique.

Un jour, en visite chez un fournisseur de Toyota au Japon dans une toute petite usine de composants avec une grande variété de pièce, on m’explique qu’il y a 18 camions par jour qui viennent ramasser de toutes les pièces à chaque tournée. Les camions se chargent par le coté et sont pleins à ras-bord. Surtout, il y a une équipe de 3 personnes qui s’occupent à temps plein de s’assurer que le planning des camions est respecté et de résoudre tous les problèmes logistiques qui se posent. Je me rends compte alors que les camions font partie de la structure de communication avec le tissu des fournisseurs – et qu’en tant que tels ils sont au cœur de l’efficacité du tissu industriel.

Fort de cet enseignement je propose à quelques patrons de plus s’occuper des camions … et les résultats sont spectaculaires. Il ne s’agit pas des camions. Il s’agit des conversations autour des camions et de l’intensification de la collaboration que cela représente.

Mais du coup, a-t-on plus de camions sur la route ? Au final, on déplacera le même nombre de pièces d’une manière ou d’une autre, qu’il s’agisse de gros lot que l’on va stocker ou de petits lots fréquents. Sur une période donnée, les pièces déplacées sont les mêmes, donc le nombre de camions sur la route aussi.

Déplacer de tout tout le temps permet d’optimiser les camions. Bien entendu il s’agit d’une courbe d’apprentissage. Quand Toyota monte sa logistique en Europe dans les années quatre vingt dix, il commence par faire respecter les horaires des camions, puis faire respecter les manifestes, puis standardiser les emplacements des boites dans le camion et faire respecter les emplacements. En parallèle, Toyota s’attache à réduire la taille des contenants et standardiser les retours de contenants vides, pour éviter tout carton et autres consommables. C’est bien la fréquence et la rigueur des transports qui permet de structurer les courbes d’apprentissage pour optimiser les charges et ne pas déplacer de l’air.

Ainsi qu’on peut le voir ici, Toyota mène de nombreuses actions pour continuer à réduire son impact environnemental, comme mettre sur la route des camions à hydrogène. Mais la vraie question est sur la structure globale des supply chain. La vision globale de Toyota repose sur l’autonomie de ses sites, et l’idéal d’un tissu de sous-traitant à moins de 100 kilomètres autour de l’usine de fabrication pour éviter l’absurdité de déplacer des pièces d’un bout à l’autre de la planète. Bien entendu, la vision a beau être claire, elle est très difficile à réaliser car elle bute sur la vision financière de mettre la fabrication des composants là où la main d’œuvre est le moins cher (et tant pis pour les coûts logistiques) et de nombreux pays, comme la France, ont renoncé à leur filières de formation techniques et donc ne sont plus en mesure de tenir des usines de fournisseurs de rang un et deux localement – les grands équipementiers nationaux suivant eux aussi la logique de délocalisation vers des endroits au coût du travail moins cher.

Du remplissage du camion à l’optimisation de la route du camion pour livrer les pleins et récupérer les vides à la structuration du réseau de sous-traitant, la question posée par le transport est un casse-tête sans nom si on cherche à l’optimiser statiquement. En revanche, si on reconnait les courbes d’apprentissages à mettre en œuvre, une optimisation pas à pas est possible pour réduire progressivement l’impact environnemental de déplacement des pièces. J’ai assisté en Finlande à la présentation de la restructuration de la supply chain des pièces détachées de Toyota Chariots Élévateurs. Chaque année depuis 2007 la supply chain bouge, fermant ou ouvrant des entrepôts, changeant de mode de distribution, déplaçant les pièces de nuit, etc. Le motif est toujours le même, réduire le lead-time. Ce faisant, le taux de service augmente et l’impact énergétique baisse.  Il n’y a pas de solution connue a priori. Il n’y a que des solutions futures que nous devons découvrir en apprenant, pas à pas.

Michael Ballé

Michael Ballé

Cofondateur de l’Institut Lean France et du Projet Lean Entreprise, Michael Ballé est un spécialiste de la transformation Lean. Docteur en sciences sociales, il anime la chronique Gemba Coach sur le site du Lean Enterprise Institute américain. Conférencier de renommée internationale, il est l’auteur plusieurs ouvrages de référence sur le management Lean.

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