Les chemins vers le mieux seront techniques et relationnels

white sailboat on body of water

La question du blog

Une PME industrielle se retrouve prise en étau entre une chaine d’approvisionnement défaillante (délais longs & variables, pénuries de matériaux clefs) et une demande client croissante. Aujourd’hui, l’entreprise n’arrive plus à prévoir et planifier, les collaborateurs s’épuisent entre périodes de rush – attente – rush -…, entrainant une multitude de gaspillages et l’augmentation des plaintes clients : mura entraine muri qui mène aux muda !

Dans le contexte actuel, comment créer les conditions de l’heijunka et retrouver l’équilibre charge / capacité ?

La réponse de Jean Claude

On me demande ce que l’on peut faire de nos jours quand sa chaine d’appro est défaillante, qu’on ne sait plus quoi livrer et comment gérer les collaborateurs qui s’épuisent et démissionnent entre deux plaintes de clients.

La première chose que je compte dire est que si tu commences seulement à comprendre que c’est le bordel, alors respire à fond et bois frais parce que cela ne fait que commencer. Ce n’est pas un mauvais moment à passer. C’est bien plus. Nous allons ailleurs, il n’y aura pas de retour à avant. Le Covid et la guerre ont mis à mal les économies et le “Quoi qu’il en coûte” (j’aimerais mettre un chiffre sur le quoi mais il nous faudra une génération pour comprendre tout cela) ont tout masqué.

La nouvelle vague la voilà. Elle n’est pas que dans la supply chain, elle est partout et avant tout humaine. Elle est impossible à traiter pour l’instant, comme certaines maladies que l’on ne peut pas guérir mais avec lesquelles on peut vivre. Et elle va définir notre nouvelle normalité. Ce n’est pas une crise car la crise est passagère, en ce moment on change plus que cela. Ma vision est que les chemins vers le mieux seront techniques et relationnels. Et c’est effectivement ce qui a le plus disparu durant les 2 dernières années.

Tout dépend beaucoup de ce que l’on fabrique comme produit et il n’y a pas de “one size fits all” mais globalement travailler la technique et la relation vont nous emmener plus sereinement au monde d’après. Tout est histoire de flexibilité. Techniquement, en reconcevant les produits ou les lignes de fabrication en fonction de ce que l’on a. Comme un cuisinier élabore son menu après avoir fait son marché et pas en fonction des promotions de chez Metro. Mais pour cela il faut savoir cuisiner. La connaissance des produits et des process est la seule voie pour re-ingénierer ce produit ou ce process. Par exemple, un objet que je déteste, l’écran tactile que l’on voit partout, que je considère comme un gadget et qui rend le produit plus fragile et moins durable, peut être remplacé par des boutons classiques. On peut aussi fabriquer ce que l’on achète (le fameux make or buy) et être aussi moins sensible aux aléas, mais il faut avoir un peu investi avant. Toutes ces démarches ont un avantage double car elles permettent de faire du vrai kaizen et donc de fédérer les équipes autour d’un projet qui ne fait pas débat. Les collaborateurs ne subissent plus, ils font partie du futur de la boite. La vision du travail change et les tensions se réduisent. C’est souvent créatif et permet même de trouver de nouveaux créneaux.

Le rôle du management est de rendre l’imprévisible prévisible. Donc il y a un travail important à faire avec ses clients et ses fournisseurs. Concernant le choix des clients, notre politique est de livrer tout le monde avec tout et de jouer sur les quantités. Nous avons décidé de pénaliser nos taux de livraison mais de ne stopper personne. Globalement, je favorise toujours ceux qui sont générateurs d’avenir et en particulier ceux qui dépendent à 100% de nous. Quand les clients nous font confiance au point de n’avoir que nous comme source, cela génère une responsabilité qui nous interdit de ne pas les livrer au mieux. Si nous sommes une source de secours, c’est différent, il y a moins de confiance et moins d’engagement. Ceux qui construisent notre futur, souvent les anciens clients qui d’années en années nous passent les nouveaux modèles, les fidèles, sont au coeur de nos priorités. Les acheteurs opportunistes qui ne cherchent que la réduction de coût passent derrière. Et enfin s’il faut encore trancher, c’est la durabilité qui finalise le choix. Ces discussions sont bien plus faciles à prendre quand on connait bien les gens.

Le rôle des patrons aujourd’hui est de rencontrer physiquement les clients ET les fournisseurs pour être sur ce terrain-là au sens gemba de la chose. Pour ces raisons la grande démission et le télétravail sont des drames parce que tout cela disparait. On doit manger avec ses clients et ses fournisseurs régulièrement, on doit les connaitre. Pour les grosses sociétés c’est plus complexe et la seule solution est de participer à leurs symposiums, d’y faire des conférences pour être connu et reconnu par leur système et là aussi on est entendu. Mais comme tout le reste, cela prend du temps et demande un engagement constant. C’est fatiguant mais essentiel. On gagne de l’argent en livrant, pas en fabriquant. On ne fait pas de la marge en coupant les coûts, on fait de la marge en créant des produits de qualité. Mettre la pression ne sert à rien, il faut simplement travailler la technique et bosser à l’endroit où les soucis se créent. Comme le disent les anglais “a smooth sea never made a good sailor”.

C’est la période idéale pour savoir qui on est. On en avait tous besoin. Le futur donnera moins de place aux gens qui ne savent pas vraiment ce qu’ils font ni avec qui ils le font. Si la politique de l’entreprise est de baiser les clients, baiser les salariés et baiser les fournisseurs, le #metoo industriel est proche. C’est un gros avantage des écosystèmes. Je travaille pour l’horlogerie suisse depuis presque 30 ans, tout le monde se connait et connait son métier et il ne viendrait à l’idée de personne d’avoir des comportements inadaptés. Ce qui ne veut pas dire pour autant que c’est facile…

Jean Claude Bihr

Jean-Claude Bihr

Membre de l’Institut Lean France et PDG de l’entreprise industrielle Alliance MIM. Auteur du livre «Le Lean aujourd'hui».

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