La question du blog
Qu’on le veuille ou non, les crises ont le pouvoir de faire bouger les choses. Ces derniers temps, nous assistons à une succession de phénomènes plus ou moins catastrophiques (pandémies, guerres, inquiétudes environnementales…) qui nous montrent très clairement là où le bât blesse mettant à mal la plupart des supply chains et questionnant la survie du système établi !
Nous devons certainement tirer des apprentissages de cela et rebattre les cartes. Pourquoi le Dantotsu de Nomura-San serait-il la voie à suivre ? En quoi pourrait-il nous aider dans la conjoncture actuelle ?
La réponse de Michael Ballé
Changeons de point de vue: plutôt que de prendre le point de vue du dirigeant qui se demande comment mieux organiser son entreprise, regardons l’entreprise du point de vue de l’employé. Il ou elle est là pour bien faire son travail – une journée réussie est une journée où tout s’est bien passé, on a eu des bons résultats et – oh miracle – quelqu’un et venu vous dire merci ou vous féliciter.
Pour réussir son job, il nous faut un certain nombre de points de connaissance. On ne sait pas ce qu’on ne sait pas, et donc il y a des choses précises à savoir (attention à bien suivre l’état des règlements clients à la compta, attention aux pièces à lead-time long en logistiques, attention à la matière du fil de brasage en faisant une soudure, etc.) Sur ces points de connaissance il y a un avant (on ne sait pas et on fait mal le boulot, ou au petit bonheur la chance) et un après (on maîtrise). Sur ces points de connaissance il faut savoir d’une part qu’ils existent (savoir ce qu’il faut connaître) et de l’autre les maîtriser (savoir comment faire).
Donc pour que les choses se passent bien pour chaque personne qui travaille dans l’entreprise, il faut qu’elle ait l’occasion de 1/ maintenir les points de connaissance qu’elle connaît déjà et 2/ découvrir de nouveaux points de connaissance. Pas toujours simple car cela doit se faire en même temps que la production – sortir les jobs demandés.
Dans cette perspective, la personne a besoin tout d’abord d’être en bonnes conditions pour apprendre: une charge de travail stable et une compréhension autonome de ce qu’il faut faire le coup suivant, que ce soit dans les processus ou dans les tâches à faire (sinon, attention à mura qui amène muri qui créée muda) ainsi que des appros de composants et d’information sans faute. Ensuite la personne a besoin de comprendre la valeur qu’elle apporte au travail fini pour le client. Puis la personne a besoin d’un mécanisme d’apprentissage. Enfin, un mécanisme d’aide pour quand on bute sur un problème et le tutorat approprié pour apprendre.
La stabilité des conditions de travail dans le système lean proviennent du juste-à-temps. Le mécanisme d’apprentissage est celui de l’auto-qualité. En étant responsable de vérifier leur propre travail (chaque tâche est vue en trois étapes: préparation, réalisation, vérification, comme dans l’artisanat), les employés peuvent identifier leurs propres gaps de connaissance. C’est de loin la meilleure approche pour l’apprentissage des adultes, dont on ne peut remplir la tête de concepts de faits comme les enfants – car les têtes sont déjà pleines d’expérience.
En conduisant la vérification de la qualité de son propre travail, un adulte repère ses zones de difficulté, et si aidé par du tutorat ou du mentorat, peut ainsi s’améliorer rapidement.
Le Dantotsu que prône Sam Nomura est la méthode pour créer ces conditions pour chaque personne. En partant des réclamations client, puis en identifiant les problèmes qualité à chaque stade d’inspection, on se rapproche progressivement du moment où l’erreur est introduite dans le job – le jidoka est en fait une mesure d’écart entre le moment ou l’erreur est découverte et celui où elle a été faite. La notion de “weak point management” (management des points faibles), correspond à identifier immédiatement un point faible dans la création de valeur, aller voir sur le terrain pour découvrir la cause et imaginer une contremesure, puis suivre la mise en place de celle-ci jusqu’à ce que le problème ne réapparaisse plus.
C’est une méthode simple, redoutablement efficace et sans grande difficulté autre que de transformer la chaîne managériale d’une chaîne de commandement (arrête de faire ci, fais ça maintenant) en une chaîne d’aide (regardons où le processus ne se passe pas comme on pense et imaginons ensemble une contremesure).
Parce que la valeur qu’on vend au client est en fait une suite de points de connaissance, sans Dantotsu, on peut s’organiser ou se réorganiser comme on veut, rien ne changera. L’organisation des tâches – ce Saint Graal du management (je donne des objectifs, je distribue les tâches, je contrôle leur exécution, je rémunère/punis en fonction) ne change pas grand chose à la création de valeur si on ne maîtrise pas les points de connaissance. La révolution profonde du lean est de transformer le rôle du superviseur d’ordonnanceur et contrôleur à celui de tuteur et de soutien pour résoudre tous les problèmes de main d’oeuvre, matière, machines et méthode. En pratique, il s’agit d’apprendre dantotsu à nos managers de terrain pour qu’ils donnent moins d’instructions mais instruisent plus.